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semblèrent vouloir pénétrer jusqu’au fond de sa pensée. Elle dit lentement et d’une voix où la surprise perçait encore :

— Vous me demandez si j’envie leur bonheur ?

— Oui, reprit le baron d’un ton passionné. N’avez-vous jamais pensé qu’il est doux de s’entendre dire : Je vous aime !

Juliette laissa échapper une longue et lente exclamation comme quelqu’un qui vient d’avoir l’explication de son étonnement, et qui découvre une pensée secrète longtemps douteuse.

— Ah ! dit-elle seulement.

Et ce ah ! semblait vouloir dire : Ah ! vous avez amour de moi. C’est donc cela ! Et ce ah ! n’avait ni colère ni honte, car un sourire imperceptible de joie et de triomphe glissa sur les lèvres de Juliette. Mais elle baissa subitement les yeux, et reprit sa tenue froide et réservée. Luizzi continua :

— Vous ne m’avez pas répondu. Ne m’auriez-vous pas compris ?

— Mieux que vous ne croyez peut-être, repartit Juliette.

— Et quelle est votre réponse ?

— Suis-je obligée de vous en faire une, et vous dois-je les confidences de mon cœur ?

— On peut les faire à un ami.

— En fait d’amour, il n’y a que les hommes qui ont des amis. Une femme ne doit parler de ce qu’elle éprouve qu’à elle-même ou à celui qui le lui fait éprouver.

— Vous en savez beaucoup sur les mystères de l’amour ?

— Plus que vous ne croyez, peut-être.

— Ah ! s’écria Luizzi, je serais ravi de vos révélations.

— Il est possible, monsieur le baron, repartit gravement Juliette, que cela vous amusât un moment ; mais vous ne voudriez pas vous donner ce plaisir, en me forçant à agiter en moi des souvenirs qui ne me permettent encore d’être heureuse par l’amitié qu’à la condition de les laisser reposer au fond de mon âme.

— Ainsi vous avez aimé ? dit le baron.

— Oui, fit Juliette avec effort.

— Vous avez été aimée ? ajouta Luizzi.

— J’ai été trahie, repartit tristement la jeune fille.

Luizzi était bien loin de la tentation toute sensuelle qui l’avait entraîné ; cependant il se trouvait engagé dans un entretien sentimental, il crut de son honneur et de sa position de le soutenir, et il repartit en donnant à son mot une expression de finesse :

— Un infidèle… peut-être ?

Juliette fronça légèrement le sourcil et lui répondit :

— Non, monsieur le baron. Celui qui n’a jamais aimé n’est pas infidèle dans le sens le plus étendu de ce mot ; et dans le sens que vous lui prêtez, peut-être, celui à qui l’on n’a rien accordé n’est pas non plus un infidèle.

— Pardon ! reprit Luizzi ; vous m’aviez dit que vous aviez été trahie.

— Oh ! trahie comme aucune femme ne l’a été en sa vie ! Imaginez-vous une pauvre fille à laquelle la