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grave et naïve de la jeune fille, et tout aussitôt il se reprochait ces désirs insensés, ces rêves ardents où s’égarait son imagination. Tout était prêt cependant : Luizzi avait fait disposer pour Henri et sa sœur l’appartement qui était au-dessus du sien, et dans lequel une chambre avait été réservée à Juliette. Le contrat était dressé, et Luizzi l’avait fait rédiger selon la volonté de sa sœur. En lui donnant une dot de cinq cent mille francs, il se plia à la noble susceptibilité de la jeune fille : elle ne voulut pas, vis-à-vis des personnes qui devaient assister à la signature, même vis-à-vis du notaire, que Henri parût lui devoir toute sa fortune, et il fut stipulé que le futur apportait une fortune de deux cent cinquante mille francs, et Caroline une dot égale. Henri arriva le matin même de la signature du contrat ; le mariage devait se célébrer le lendemain. Luizzi et Juliette étaient présents quand Henri entra dans le salon où se trouvait Caroline. Le baron ne put s’empêcher de remarquer l’air gauche et embarrassé avec lequel le lieutenant s’approcha de sa prétendue. Les torts d’Henri étaient une excuse suffisante pour motiver cet embarras, et Luizzi pensa que sa présence et celle de Juliette ne feraient que l’accroître. Il dit alors à celle-ci qu’il désirait la consulter sur une acquisition qu’il venait de faire et qu’il ne voulait montrer qu’à elle seule, pour en garder la surprise aux futurs époux. Juliette n’eut pas l’air d’entendre ; elle resta assise à côté de Caroline, qui, les yeux baissés, répondait en balbutiant aux paroles presque incohérentes d’Henri. Juliette les observait d’un regard si attentif que le baron en fut étonné, quoiqu’il supposât que ce ne pouvait être que la curiosité d’une fille innocente qui regarde parler d’amour. Toutefois le baron, voyant Henri et sa sœur se troubler de plus en plus, renouvela son invitation. Cette fois Juliette se leva soudainement et dit d’un accent ému :

— Oui, vous avez raison : je vais voir ce que vous avez acheté, mais c’est pour l’admirer, parce que je sais que tout ce que vous donnez est du meilleur goût et de la plus grande richesse, et qu’une femme ne peut avoir un désir que vous ne puissiez et ne sachiez le satisfaire avec le plus charmant empressement ; je dis cela devant votre futur beau-frère, pour qu’il sache combien Caroline a été gâtée en fait d’attentions et de délicatesses.

Luizzi trouva qu’il y avait dans ses paroles une intention de leçon qui lui parut extraordinaire, et il emmena Juliette, tandis que Henri la suivait d’un regard presque irrité et que Caroline, confuse et tremblante, semblait implorer son frère contre l’émotion à laquelle il la livrait sans défense. À peine furent-ils sortis que Juliette dit à Luizzi :