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— Que veux-tu, mon enfant, je suis pauvre !

Quant à Luizzi, ravi d’avoir trouvé une compagne si aimable pour sa sœur, il cherchait par mille soins à faire oublier à Juliette ce prétendu tort de la fortune. Un mois s’était passé ainsi. Tout était prêt pour le mariage de Caroline, et, sans s’en apercevoir, Luizzi s’était laissé gagner à l’habitude de voir Juliette tous les soirs, au point d’éprouver quelque ennui de son absence, quand elle tardait à venir. Il encourageait Caroline dans l’affection libérale qu’elle montrait à son amie. C’était lui qui donnait par les mains de sa sœur, et l’innocente fille ne voyait dans tout cela qu’une générosité qui, après l’avoir comblée elle-même, se répandait jusque sur ceux qu’elle aimait. Quant à Juliette, elle affectait ou elle avait une complète ignorance de ces bienfaits ; car elle gardait envers Luizzi un ton de modeste confiance qui lui disait trop qu’elle ne s’apercevait pas de ses soins. Sans être précisément amoureux de cette femme, Luizzi subissait un peu son empire. Il semblait qu’elle eût deux natures qui agissaient également sur lui. Sa personne, son air, son regard, son sourire, respiraient une volupté qui jetait le baron dans des troubles extrêmes ; sa parole, ses sentiments, sa tenue, avaient une si grave pureté, qu’il n’osait écouter les désirs qui s’élevaient en lui. D’ailleurs il n’avait aucune occasion de voir Juliette seule, et Luizzi se laissait aller à un sentiment indéfinissable pour cette fille. Il ne lui était jamais entré dans la pensée qu’il pût en faire sa femme, et il répugnait à l’idée d’en faire sa maîtresse, d’abord par respect pour sa sœur, dont il n’eût pas voulu déshonorer l’amitié, ensuite parce qu’il pensait qu’il avait trop d’avantages dans une séduction pareille pour qu’elle ne fût pas véritablement coupable. Cependant il ne pouvait voir Juliette ou la sentir près de lui sans être pour ainsi dire enivré du parfum d’amour qui semblait flotter autour d’elle. Il la regardait alors, non pas avec cette douce extase de l’amour saint qui semble fondre sous ses rayons la forme humaine de celle qu’on aime, pour arriver à son âme et l’étreindre dans une caresse ineffable ; il la regardait pour chercher sa personne au delà de ses vêtements, pour achever du regard les lignes capricieuses et souples de ses épaules fluides ou de son pied délicat, pour la rêver nue comme une bacchante avec ses longs cheveux ardents épandus autour d’elle, livrant à des baisers mordants ses lèvres sans cesse humides et dont la caresse devait dévorer, pour entendre cette voix éclater en cris joyeux de plaisir et de lubricité, pour sentir ce corps délié se tordre avec des accents de délire dans les ardeurs de l’amour, comme une corde de harpe qui se coule et se plaint dans le foyer où on l’a jetée. Puis venait une parole