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mère à qui l’on offre l’espérance d’arracher sa fille à une existence de misère, de se réunir à elle, de lui faire un avenir.

Juliette s’arrêta encore, comme suffoquée par l’aveu qu’elle allait faire ; puis elle reprit d’un accent étouffé :

— Ma mère, ne l’accusez pas ! ma mère osa disposer de l’argent que tu lui avais fait remettre, elle acheta cet établissement, et nous vînmes à Paris… Mais cet argent est prêt, reprit vivement Juliette dont la voix avait baissé en faisant ce pénible aveu. Il est prêt, et je te l’apporte. Depuis huit jours que je sais que tu es à Paris, c’est pour pouvoir te le rendre que j’ai tardé à venir te voir ; j’ai fait ressource de tout, et maintenant je viens sans peur et sans honte te dire que je t’aime et que je suis heureuse de te revoir.

En disant cela, Juliette fit un geste comme pour chercher dans la poche de sa robe.

— Que fais-tu ? s’écria Caroline ; je ne veux pas, tu t’es gênée peut-être. Non, Juliette, non. Veux-tu que ce soit mon cadeau de noces, non pas à toi, mais à ta bonne mère ?…

— Acceptez, Mademoiselle, dit Luizzi tout attendri des nobles sentiments de Juliette et de la gracieuse libéralité de sa sœur.

Juliette se défendit longtemps et finit par accepter. Luizzi jugea à propos de les laisser ensemble, pensant qu’il devait y avoir entre ces deux cœurs de jeunes filles bien des confidences naïves qu’elles n’oseraient se faire devant lui, et, tout à fait rassuré sur l’avenir de sa sœur par le témoignage de Juliette et par l’intérêt qu’elle-même lui avait inspiré, il s’éloigna. XV

SUITE.

À partir de ce jour, Juliette vint tenir fidèle compagnie à Caroline ; elle la suivait aux spectacles, aux promenades. La jeune fiancée se plaisait à parer son amie, elle en faisait pour ainsi dire les honneurs avec une naïveté qui faisait sourire Luizzi ; elle disait souvent à Juliette avec une douce joie :

— Oh ! je te marierai, je te trouverai un bon parti.

Mais, quoi qu’elle en eût, Caroline ne put obtenir pour Juliette le succès d’égards et d’hommages respectueux qu’elle-même trouvait sans le chercher, et Juliette lui répondait avec un sourire dont Caroline n’osait blâmer l’amertume :