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— Je vous remercie pour elle, Monsieur. C’est votre sœur ; mais vous ne savez pas comme moi combien elle mérite le bonheur que vous lui donnez. En la faisant heureuse, vous payez la dette des autres.

Une larme brillait dans les yeux de Juliette, une larme dorée où se reflétait le rayonnement d’une âme reconnaissante, qui, ne pouvant rien pour celle qu’elle aimait, remercie celui qui a le pouvoir de récompenser. Tous les doutes, tous les soupçons de Luizzi s’effacèrent devant tant de dévouement et de sincère affection, et il s’apprêta à écouter avec intérêt le récit que Caroline demandait instamment à Juliette.

— Hélas ! répondit celle-ci, rien n’est plus simple que ce qui m’est arrivé. Quand tu as été loin du couvent, je m’y suis trouvée bien isolée, car toi seule y étais mon amie ; bien persécutée, car toi seule m’y protégeais. Le courage, ou plutôt l’amitié qui m’avait soutenue, cette force que je croyais en moi et qui n’était qu’en toi, m’abandonna tout à coup. Je pris en effroi l’avenir que je me faisais, et l’impossibilité où j’étais d’y échapper ne fit qu’accroître mon désespoir. Je n’osais l’avouer à ma mère, qui eût peut-être accepté la charge que ma présence chez elle lui eût apportée, mais dont je ne voulais pas augmenter encore la gêne. Cependant elle avait deviné ma douleur, et elle s’en accusait. Ce fut alors qu’elle t’écrivit pour te remettre l’argent que tu avais amassé pour toi…

Juliette s’arrêta, et Caroline lui dit :

— Mon frère sait tout…

Juliette continua :

— Ses lettres et les miennes restèrent sans réponse.

— La supérieure de Toulouse a dû supprimer les vôtres, et celle d’Évron en a sans doute fait autant pour celles de madame Gelis, dit le baron.

Juliette baissa les yeux, et répondit doucement :

— Je n’accuse personne d’une telle infamie, quoique les traitements que j’ai eus à supporter doivent me faire croire que ces pieuses femmes en ont été capables.

— Mais enfin, dis-moi ce qui t’a amenée à Paris, reprit Caroline avec impatience.

— Une mauvaise action dont je viens me confesser à toi, repartit Juliette, mais une mauvaise action qui n’est pas irréparable. Au moment où le courage me manquait tout à fait, un vieil ami de ma mère qui habite Paris lui écrivit pour lui proposer l’acquisition d’un établissement pareil au sien, un cabinet de lecture. C’était une affaire précieuse, et avec de l’argent comptant on pouvait l’avoir à un tiers de sa valeur réelle. Caroline, et vous, Monsieur, vous ignorez ce que c’est que la pauvreté, vous ignorez ce que c’est qu’une