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marchait au gré des désirs du baron. Il venait d’expédier à Henri la permission du ministre de la guerre, et le lieutenant annonçait que sa blessure lui permettrait bientôt de se mettre en route, lorsqu’un matin que le baron était seul avec Caroline dans son appartement, on vint annoncer à la jeune fille qu’une dame demandait à lui parler. Caroline ne connaissait aucune femme à Paris ; Luizzi n’avait voulu la présenter nulle part avant son mariage, embarrassé qu’il était du nom sous lequel il pouvait la produire dans le monde. Ils furent donc tous deux fort étonnés de cette visite, et Caroline fit demander le nom de la personne qui se présentait. Le domestique revint et annonça :

— Mademoiselle Juliette Gelis.

À ce nom, Caroline poussa un cri de surprise et s’élança vers l’antichambre, où elle se précipita dans les bras de Juliette avec la joie d’une amie confiante qui retrouve son amie la plus chère. Puis elle l’entraîna rapidement vers le salon et la présenta à son frère. Luizzi regarda cette femme avec curiosité pendant qu’elle le saluait les yeux baissés. Il vit que le portrait que sa sœur lui en avait fait n’était point flatté ; mais ce qu’il remarqua et ce qui avait dû échapper à l’ignorance de Caroline, c’était l’air de langueur ardente qui respirait dans les traits légèrement fatigués de mademoiselle Gelis, c’était la souplesse rompue de ce corps élancé et svelte, qui semblait lui attribuer le pouvoir d’enlacement d’un serpent, quand elle voulait saisir une proie, ou la grâce flexible d’une bayadère amoureuse, quand elle voulait étreindre un amant de ses caresses. Cependant Luizzi ne s’arrêta point à ces pensées, et il résolut d’écouter attentivement Juliette pour la juger sur de meilleurs indices que le visage et la tournure.

Après les premiers épanchements d’un doux revoir où deux amies se jettent vivement les paroles et les baisers et les serrements de mains, il fallut bien arriver aux explications. Luizzi se chargea de raconter sa rencontre avec Caroline et sa rencontre avec Henri Donezau. Il le fit, en observant l’effet que son récit produirait sur Juliette. Celle-ci écouta le baron le sourire sur les lèvres, avec de doux mouvements de tête qui semblaient approuver tout le bonheur que son amie devait au hasard ; puis, quand on en vint à Henri, ce fut un étonnement joyeux. Elle se tourna vers Caroline en lui tendant la main, et lui dit avec un accent du cœur où semblait vibrer l’écho de la joie de Caroline :

— Tu seras donc heureuse ! Oui, heureuse, car il t’aimait bien. Et c’est un noble jeune homme.

Puis, se tournant vers Luizzi, elle continua avec une grâce charmante :