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un procès d’où dépend la fortune d’un de mes clients, plus d’un million et demi, ma foi ! C’est une affaire grave : il ne s’agit pas moins que d’un testament supposé qui priverait le marquis de Bridely de soixante mille livres de rente.

— Le marquis de Bridely ! dit Luizzi, je le connais, ce me semble ; n’est-ce pas le troisième fils du vieux marquis… une espèce de misérable ?…

— Non… non… dit Barnet tout bas d’un air de confidence, il est mort ; il s’agit de son fils qu’il a reconnu et légitimé.

M. Gustave ! s’écria le baron, mais c’est un autre intrigant…

— Ses droits n’en sont pas moins incontestables, repartit le notaire ; et le bon droit, voyez-vous, monsieur le baron, est toujours respectable, même quand il s’applique à un fripon. D’ailleurs, M. de Bridely s’est montré ce qu’il devait être en cette circonstance. C’est moi qui ai découvert l’héritage que le hasard lui envoyait, il m’a chargé de la direction de l’affaire, et, si elle réussit, il s’agit pour moi d’une somme de cent mille francs.

— Cela vaut bien la peine de faire deux cents lieues, repartit le baron.

— Et cependant, répliqua Barnet, peut-être l’espérance d’un pareil bénéfice ne m’eût-elle pas décidé à quitter Toulouse, si je n’avais pas dû voir dans ce pays une personne qui vous intéresse aussi, monsieur le baron.

— Caroline ? dit Luizzi.

— Vous l’avez vue ?

— Oui, je l’ai vue, elle est ici.

— Allons, allons, en voiture ! cria le conducteur.

— Ne vous arrêtez-vous pas à Vitré ? dit Luizzi à Barnet, qui s’avança vers la diligence.

— L’affaire Bridely se plaide demain à Rennes ; je n’arriverai que ce soir, et je serai forcé de passer la nuit avec l’avocat qui est chargé de notre cause, pour lui donner connaissance des pièces importantes que je lui apporte.

— Mais Caroline ? dit le baron.

— Je comptais lui écrire et la voir à mon retour. L’époque de sa majorité approche, j’ai à lui rendre compte de sa fortune, et je suis ravi que vous soyez présent pour juger de l’usage que j’en ai fait, quoique je regrette que tout cet argent doive passer dans un couvent.

— Mais non, reprit vivement Luizzi ; Caroline se marie.

— Bah ! fit Barnet en quittant le marchepied de la diligence ; et avec qui ?

— Avec un militaire, un certain M. Henri Donezau.

Barnet fronça le sourcil.

— Je connais ce nom-là, il me semble…

— En voiture donc ! cria le conducteur. Il n’y a plus que vous, Monsieur. Nous avons deux heures de retard sur Laffitte et Caillard, et nous ne les rattraperons pas.

— Adieu donc ! dit Barnet, donnez-moi votre adresse ici.

— Je compte partir demain, je retourne à Paris.

— À Paris donc ! J’y repasserai pour vous voir, car nous avons bien des affaires et de bien graves à décider ensemble.

— Un moment ! dit