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Quand Luizzi eut exposé sa demande au lieutenant, celui-ci devint fort embarrassé ; il balbutia des excuses assez peu convenables, quoique cependant il parût très-plausible qu’un lieutenant ne fit pas d’économies sur ses maigres appointements. Le baron, pour qui, avec ses deux cent mille livres de rente, il semblait impossible qu’un homme connu ne pût pas se procurer sur-le-champ quelques milliers de francs, proposa très-naturellement à Henri de les emprunter à ses camarades ou à l’officier payeur du régiment. Mais le lieutenant lui fit comprendre avec mauvaise humeur qu’il ne pouvait avoir recours à la bourse d’officiers qui étaient aussi pauvres que lui, puis il finit par dire :

— Si nous étions à Paris, je ne serais pas embarrassé pour vous donner de quoi quitter ce maudit pays, dussé-je mettre mes épaulettes en gage ; mais dans ce trou il n’y a pas même un mont-de-piété. On a bien raison de dire que la Bretagne est un pays de sauvages.

Le baron trouva singulier que le mont-de-piété fût pour Henri un thermomètre de bonne civilisation ; mais il n’en resta pas moins fort inquiet des moyens par lesquels il sortirait de sa fâcheuse position. Henri n’avait aucune ressource, et, d’après ce qu’il crut voir, Luizzi supposa que, s’il mettait tant de discrétion à s’adresser à la bourse de ses camarades ou de ses chefs, c’est qu’il avait été déjà plus qu’indiscret à cet égard. L’impression de cette entrevue ne fut point favorable à Henri dans l’esprit du baron. Toutefois, celui-ci s’était fait un si beau plan de conduite, il s’était créé un si noble rôle de protecteur, de frère dévoué et généreux, qu’il travailla le plus qu’il put à détruire en lui-même cette fâcheuse impression. Il se dit que c’est assez le fait d’un lieutenant d’endetter sa jeunesse, et que tous ceux de la bonne comédie et des bons opéras-comiques, qui séduisent si galamment les femmes, ont presque toujours autant de papier timbré que de billets doux dans leurs poches. Luizzi regagnait la maison où il avait laissé sa sœur en s’entretenant avec lui-même, lorsqu’il fut tiré de sa rêverie par un cri de surprise et par son nom prononcé d’une voix étonnée. Luizzi regarda et vit un voyageur qui descendait d’une diligence qui relayait. Cet homme, c’était M. Barnet, le notaire.

— Pardieu ! s’écria Luizzi, c’est le ciel qui vous envoie.

— Et c’est lui qui me fait vous rencontrer. Que diable êtes-vous donc devenu, depuis dix-huit mois ? Je vous ai écrit vingt fois, et mes lettres sont toutes restées sans réponse.

— J’ai fait un voyage à l’étranger, répondit le baron avec embarras. Mais vous, quel motif vous amène dans ce pays ?

— Un très-important comme affaire, et un autre non moins important comme affection. Le premier est