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car ils élevaient encore leurs mouchoirs et criaient encore que déjà ils étaient entourés de soldats. Luizzi raconta alors à un capitaine les tristes événements dont il avait été témoin. Pendant son récit, des soldats apportèrent le corps du petit Mathieu. L’empreinte de doigts fortement enfoncés autour du cou du malheureux enfant prouva qu’il avait été saisi à la gorge et étranglé par une main d’une force effrayante. Les cris de Luizzi et d’Henri, en appelant un grand nombre de soldats au point où gisait le corps de Bruno, avaient rompu le cercle qui se resserrait lentement autour des ruines du vieux pont, et l’on fut forcé de reconnaître que les chouans avaient profité du désordre excité par un si atroce attentat pour se glisser de ce côté et se jeter hors de la lande ; car on n’en trouva pas un seul dans l’espèce de caverne qu’ils avaient désignée comme devant leur servir de retraite, et la battue ne put faire découvrir la trace d’aucun d’eux.

Cependant Luizzi, qui devait retrouver Caroline chez Jacques, fut choisi pour être le triste messager de la mort du père et du fils de ce malheureux homme. Le bonheur qu’il croyait apporter à Caroline l’occupait à peine à côté du cruel devoir qu’il avait à remplir. Il s’achemina en tremblant vers la maison du fermier, tandis que Henri, auquel il donna rendez-vous à Vitré, suivait les soldats.

Le baron s’arrêta un moment à la porte de l’enclos avant d’y pénétrer. La maison était fermée, et personne ne paraissait. Il se décida à entrer. Tout le monde était assemblé dans la grande salle, Jacques assis au coin du feu, sa femme agenouillée par terre et pleurant sur les genoux de son mari, les domestiques réfugiés dans les coins et se regardant avec terreur, les petits enfants pressés entre les jambes de Jacques et les bras de leur mère, et Caroline debout à côté d’eux. Quand Luizzi parut, Jacques se leva.

— Nous savons tout, Monsieur, lui dit-il.

— Qui a pu vous l’apprendre ? s’écria Luizzi.

— Un ami… Petithomme, qui a passé par ici.

— Petithomme ! s’écria le baron ; mais c’est celui qui a tiré hier sur vous, c’est celui à qui j’ai vu Bertrand désigner votre père comme une victime.

— Petithomme ! répéta Jacques en abaissant un regard terrible sur sa femme, tandis que celle-ci, se rejetant en arrière, semblait fléchir sous ce terrible regard.

Pas un mot ne fut prononcé de part ni d’autre. Jacques s’essuya le front du dos de la main, car il était inondé de larges gouttes de sueur ; puis il reprit d’une voix tranquille :

— Sœur Angélique, vous avez retrouvé votre fiancé. Épousez-le, si c’est le seul homme que vous ayez aimé. Vous n’avez plus