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trop tardive ; il pensa qu’il est de ces occasions où il est maladroit de laisser approcher le danger d’assez près pour montrer qu’on en a peur.

— Songez, dit Bertrand, que les Bruno nous répondront de vous et qu’ils y passeront tous, hommes et femmes, si nous sommes trahis.

— C’est bon ! c’est bon ! dit Bruno ; pensez à vous, le reste nous regarde.

Bertrand fit signe aux siens de le suivre. Il marcha quelque temps dans le ravin du côté par lequel on avait amené Henri, puis il disparut avec ses gens dans les broussailles ; mais, avant qu’ils se fussent éloignés, Luizzi vit Bertrand désigner Bruno au chouan Petithomme. Il fit part de sa remarque au vieillard, qui sembla méditer un moment sur ce qu’il venait d’apprendre.

— Diable… diable ! faisait-il en secouant la tête.

— C’est votre faute aussi, grand-père, dit Mathieu avec colère ; pourquoi allez-vous dire à Bertrand que nous savons que c’est Petithomme qui a tiré sur mon père ?

— Tu as raison, petiot, j’ai eu tort. Mais je ne puis croire que Bertrand ose faire un coup comme ça.

— Vous lui avez fait un cruel reproche, dit Luizzi à voix basse, et…

— Vous l’avez entendu ? reprit de même Bruno.

Luizzi fit un signe de tête affirmatif. Bruno sembla hésiter un moment, puis il dit assez haut :

— Nous avons un meilleur moyen de sauver les gars que de rester ici : c’est d’aller au-devant des soldats et de les empêcher d’approcher, en leur disant que toute la bande est partie.

— Vous avez raison, reprit Henri ; allons vite et prenons le chemin le plus court.

Aussitôt ils quittèrent le ravin et entrèrent dans un sentier bordé des deux côtés de hauts genêts. Ils marchèrent d’abord rapidement, mais Bruno s’arrêta tout à coup et parut écouter. Ils n’entendirent que les cris lointains des soldats qui s’avertissaient les uns les autres de l’endroit où ils se trouvaient. Bruno reprit sa marche, mais au bout de cinquante pas il s’arrêta encore.

— Nous sommes suivis, c’est sûr. Mathieu, n’as-tu rien entendu ?

— C’est vrai, dit Mathieu, à gauche dans les genêts, j’y vas.

— Reste ici, petiot, dit le vieil aveugle.

Mais l’enfant ne l’écouta pas et s’enfonça intrépidement dans le fourré. Luizzi et Henri suivirent sa marche des yeux au mouvement qu’il imprimait aux genêts qu’il agitait en avançant. À trente pas à peine de l’endroit où ils étaient restés, ce mouvement devint tout à coup plus vif, comme s’il y avait eu une lutte. Il recommença, en s’éloignant, comme si Mathieu eût repris sa course, puis il disparut tout à coup.