Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/159

Cette page n’a pas encore été corrigée

m’engager à trahir les miens, dit Henri.

— Vous, dit Bertrand, ça ne m’embarrasse pas, et je vous réponds que vous ne parlerez pas.

— Que veux-tu donc faire ? dit Bruno.

— Il nous suivra de bonne volonté et il ne criera pas quand nous le tiendrons, ou bien il restera ici et ça fera un cadavre de plus dans la lande.

— N’oublie pas que je t’ai demandé la liberté de cet officier ? dit Bruno.

— Pour qu’il nous livre, repartit Bertrand.

— Sauvez-vous, Henri, reprit le baron, et jurez sur l’honneur de ne pas révéler le lieu de leur retraite.

— Cela m’est impossible, répondit Henri.

— En ce cas, dit Bertrand en tirant son couteau de chasse, marchez devant et ne bronchez pas.

— Vous pouvez me tuer, dit Henri, car je ne ferai pas un pas.

— Va comme il est dit, fit Bertrand en se reculant comme pour asséner un coup plus sûr à Henri.

— Si vous commettez un tel crime, s’écria Luizzi, je retire ma parole.

— Eh bien ! ça sera pour vous comme pour lui.

— Ils se resserrent et se rapprochent ! murmura une voix partie du haut du pont.

— Voyons, décidez-vous, cria Bertrand.

— Un moment, dit Luizzi. Vous oubliez une chose : c’est que, si nous restons seuls ici, les militaires qui vont venir et qui ne nous connaissent pas ne croiront point à nos assertions et n’en continueront pas moins leurs recherches…

— C’est juste, dit-on de toutes parts.

— Tandis que si un de leurs officiers, continua Luizzi, leur certifie que vous êtes partis depuis longtemps, ils n’en douteront pas.

— C’est encore juste, repartit Bertrand, mais il faut qu’il le veuille.

— Consentez, Henri, dit le baron.

— Les voilà qui viennent ! cria un chouan qui descendit du monticule où il était en sentinelle.

— Voyons, dit Bertrand, qui jeta brusquement son fusil en bandoulière pour pouvoir se mieux servir de son couteau de chasse : une fois, deux fois, voulez-vous jurer de dire que nous sommes partis depuis le matin ?

Henri hésita encore.

— Ma foi, tant pis pour lui ! dit Bruno en haussant les épaules.

— Vous ne le voulez pas ? reprit Bertrand ; alors, bonjour.

Il leva son couteau de chasse. Henri pâlit et recula.

— Je vous jure sur l’honneur, dit-il d’une voix altérée, de me taire sur ce que vous avez fait.

— Ce n’est pas cela, dit Bertrand ; il faut dire que nous sommes partis depuis longtemps. Allons, ne faites pas tant de façons ! votre peau est devenue trop blanche depuis un moment pour que vous n’y teniez pas.

— Ils arrivent… ils arrivent ! murmura une voix dans les broussailles.

— Allons, finissons ! dit Bertrand en levant son couteau.

— Eh bien ! fit Henri, je vous donne ma parole de militaire de déclarer ce que vous voulez.

— Soit, repartit Bertrand.

Luizzi fut charmé de la résolution de Henri, quoiqu’elle lui parût