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Bruno, il reprit :

— Comment veux-tu que je fasse pour proposer cela aux autres ?

Il n’avait pas achevé qu’un second chouan parut.

— Hé les gars ! voilà les culottes rouges !

— De quel côté ?

— Vers la grande mare.

— Remonte, et qu’on attende, reprit Bertrand.

À cette nouvelle, Henri s’était levé pour s’approcher du baron ; mais celui-ci lui avait fait signe de ne pas interrompre l’entretien des deux paysans. En ce moment, Bruno disait à Bertrand :

— Voilà une bonne occasion ; renvoie tes hommes et laisse ici l’officier avec nous.

— Je vais voir si c’est possible, dit Bertrand d’une voix tranquille.

Aussitôt il s’éloigna de quelques pas en jetant un regard de menace sur le vieillard. Luizzi s’approcha de Henri qui lui dit :

— Voilà un secours qui nous arrive fort à propos…

— J’en doute, dit Luizzi. Puis il s’approcha de Bruno et lui glissa tout bas ces mots : Prenez garde, j’ai peur de quelque trahison.

Presque aussitôt Bertrand reparut : il semblait violemment agité.

— Nous sommes vendus, dit-il, ils sont plus de trois cents venant de tous les coins.

Les chouans se rapprochèrent de Bertrand, et le mot : vendus ! vendus ! circula parmi ces douze ou quinze hommes réunis.

— Vendus et perdus ! dit Bertrand ; ils s’avancent en faisant le cercle et en fouillant la lande comme des rabatteurs de gibier.

— C’est le père Bruno qui nous a dénoncés, cria le chouan Petithomme, pendant que Bertrand regardait quel effet produirait cette accusation.

— Si je vous avais dénoncés, dit Bruno en haussant les épaules, est-ce que je serais au milieu de vous ?

— Il a raison ! il a raison !

— Mais vous me semblez bien vite démontés, vous autres, reprit Bruno ; comment ! vous ne pouvez pas vous échapper et glisser entre une centaine de soldats ? Est-ce que vous ne connaissez pas le sentier du…

— Je connais tous les sentiers, dit Bertrand en interrompant Bruno ; mais, à la manière dont ils s’y prennent, nous serons bien heureux s’il n’y en a pas trois ou quatre d’entre nous arrêtés ou tués. Pourtant, il y a un moyen de tout sauver sans qu’aucun de nous coure le moindre risque.

— Voyons…

— Le voici, reprit Bertrand en s’adressant à Henri ; vous connaissez le terrier où vous avez été enfermé, il peut tous nous contenir et nous pouvons nous y cacher. Vous laisserez approcher les soldats jusqu’ici, et quand ils arriveront, vous leur déclarerez qu’il y a plus de deux heures que nous avons quitté la lande. Les recherches cesseront de ce côté, et nous, nous resterons ici tranquilles comme des poissons dans l’eau.

— Soit, dit Bruno, je te le promets.

— Et moi aussi, ajouta le baron.

— Mais moi, je ne peux pas