Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/155

Cette page n’a pas encore été corrigée

L’épaisse intelligence du sous-lieutenant sembla s’éveiller lentement, et, comme un homme qui cherche à comprendre ce qu’on veut lui dire, il regarda Luizzi et lui dit en balbutiant :

— Caroline était déjà un assez bon parti… Tant mieux pour elle si vous la faites plus riche… Il est possible que j’eusse mieux fait de l’épouser… si je n’avais pas écouté…

— D’indignes calomnies, dit Luizzi.

— Je ne dis pas que mademoiselle Caroline ait jamais rien fait de répréhensible, répondit Henri en grommelant entre ses dents.

— Mais vous l’avez cru peut-être un moment, et ce moment a suffi pour détruire à jamais son bonheur, et aussi le vôtre sans doute. Mais il en est temps encore, Monsieur ; elle n’a pas prononcé ses vœux, elle vous aime toujours, et, si vous êtes enfin désabusé, prouvez-le-moi en acceptant sa main.

Pour faire cette proposition, Luizzi s’était posé d’une façon tout héroïque, en se campant sur la hanche, la main tendue vers Henri. Il avait parlé d’un ton théâtral auquel il ne manquait absolument qu’un manteau espagnol et une rapière pour être du meilleur dramatique, et il continua de même en voyant l’air ébouriffé de Henri.

— Je suis venu loyalement à vous, Monsieur. Répondez-moi de même : Êtes-vous libre ?

— Libre de me marier ? dit Henri. Oui, si je deviens libre de partir d’ici.

— En ce cas, que dirai-je à Caroline ?

— Ma foi ! que je suis tout prêt à l’épouser, dit encore Henri dont les yeux attestaient une étrange surprise et une espèce d’égarement.

— Merci pour elle, mon frère, reprit le baron, toujours monté sur son dada chevaleresque.

Puis, s’adoucissant jusqu’au ton paternel, par une habile transition il reprit :

— Qui donc avait pu vous égarer au point d’écrire à Caroline un billet pareil à celui-ci ?

Henri prit le billet et le lut. Il resta silencieux et comme plongé dans de profondes réflexions.

— Je sais, dit Luizzi qui était en train de phrases, je sais que l’amour, qui souvent se refuse à l’évidence, croit aussi au crime sur les plus légers soupçons. Mais vous pouvez me dire quel a été l’auteur des calomnies ?

— Oh ! dit Henri, les yeux toujours fixés sur le billet, je ne puis ni ne dois nommer une personne…

— Je vous comprends, dit Luizzi ; mais je crains que cette Juliette…

Henri tressaillit ; mais il répondit presque aussitôt :

— Non, sur l’honneur, jamais Juliette ne m’a dit un mot contre la bonne réputation de Caroline.

— Ce serait donc ?…

— Ne cherchez pas, monsieur de Luizzi ; vous ne connaissez pas ceux qui m’ont trompé.

— Comme vous voudrez. Je respecte votre scrupule.