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droit en écharpe, mais c’est égal. Si ces paysans ont deux mauvaises lattes bien aiguisées à nous prêter, je suis votre homme.

— Vous ne me supposez pas le mauvais goût, je pense, reprit Luizzi de son grand ton de gentilhomme, d’être venu vous demander une pareille explication ici et dans l’état où vous êtes ?

— En ce cas, je n’en ai pas d’autre à vous donner, reprit Henri en lui tournant le dos.

Luizzi resta tout abasourdi de surprise en voyant le ton et les manières de ce monsieur que, d’après ses lettres, il s’était figuré un beau et mélancolique jeune homme. Il ne trouva rien à dire d’abord à la brutale réponse d’Henri, et peut-être l’eût-il laissé s’éloigner, si celui-ci ne se fût retourné et ne lui eût dit d’un ton insultant :

— Mais j’y pense, je voudrais bien que vous me fissiez le plaisir de me dire de quel droit vous venez vous mêler de mes affaires ?

— C’est que vos affaires sont les miennes, Monsieur, dit le baron avec hauteur ; c’est que je suis le baron de Luizzi, et que Caroline est ma sœur.

À cette révélation Henri sembla pétrifié, et, quand Luizzi ajouta : « Je sais tout, Monsieur ! » le lieutenant se laissa emporter à d’effroyables jurements.

— Eh bien ! s’écria-t-il, que vous sachiez tout, c’est bon ; allez me dénoncer à mes chefs, faites-moi casser en tête du régiment. Après tout, ça m’est égal ; d’ailleurs voilà des gueux qui depuis hier me promettent de m’achever. À leur aise maintenant, j’aime autant que ça finisse tout de suite.

Luizzi se figura qu’un délire de fièvre occasionné par la blessure exaltait la tête de ce jeune homme. Flatté d’ailleurs de l’impression qu’avait faite la simple énonciation de son nom, il reprit plus doucement :

— Écoutez, Monsieur, je crois l’autorité militaire fort peu curieuse de punir une faute comme la vôtre, surtout quand elle peut se réparer.

— Eh ! comment diable voulez-vous que je la répare avec douze cents francs d’appointements ? répondit Henri en haussant les épaules.

Luizzi, qui s’était fait une idée chevaleresque de la mission qu’il venait remplir et qui ne renonçait pas à atteindre le but qu’il s’était proposé, écouta à peine cette singulière réponse, la rejeta toujours sur le compte de la fièvre, et repartit vivement :

— Votre manque de fortune, Monsieur, ne saurait être un obstacle ; la fortune personnelle de ma sœur est peu de chose à la vérité, mais je puis l’accroître à tel point qu’elle satisfera à toutes les exigences d’une position honorable.