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et son petit-fils ; mais ils tournèrent autour de Luizzi en murmurant entre eux :

— C’est l’espion de cette nuit.

Cette dénomination parut de mauvais augure à Luizzi. Mais, comme il ne s’était pas décidé à la démarche qu’il avait faite sans prévoir qu’il pouvait courir quelque danger, il parut ne pas s’apercevoir des mauvaises dispositions des chouans. Toutefois, il remarqua que le petit Mathieu s’approcha d’un des chouans qui se tenaient à l’écart, et lui dit d’un ton jovial :

— Bonjour, père Petithomme, comment va le gars Louis ?

— Ça va comme ça peut, dit le chouan.

— Tu es donc là, Petithomme ? dit Bruno d’un ton amical.

— Oui, père Bruno. Et ça va bien, j’espère, chez vous ?

— Pas mal, pas mal.

Ni l’enfant ni le vieillard ne montrèrent la moindre émotion, en parlant l’un à l’assassin de son père, l’autre à l’assassin de son fils. D’un autre côté, Luizzi ne vit rien qui lui annonçât que le lieutenant eût été porté en ce lieu, et il attendit que Bertrand l’interrogeât. Celui-ci s’assit sur une grosse pierre, s’accouda sur ses genoux, et lui dit en se penchant vers le feu :

— Que demandez-vous ?

— Ce que je crains bien, dit Luizzi, que vous ne puissiez plus m’accorder : je voudrais voir votre prisonnier.

— Qu’est-ce que vous voulez lui dire ?

— C’est un secret entre lui et moi.

Bertrand releva la tête, et examina Luizzi d’un air surpris ; puis il reprit sa position en étendant les mains vers le feu, et cria à l’un de ses gens :

— Va chercher le blessé !

Un moment après, Henri parut, et Luizzi put l’examiner à son aise. C’était un homme de vingt-cinq ans à peine, de formes herculéennes, la tête petite, le front déprimé, et qui devait être rose sous sa barbe noire, quand la maladie ne l’avait pas atteint.

— Vous pouvez causer ensemble, dit le chouan. Ne vous gênez pas. Nous vous laisserons le temps.

— Êtes-vous venu ici, Monsieur, dit Henri, pour traiter de ma liberté ?

— Non, reprit le baron ; je viens au nom de la personne qui vous a reconnu chez Jacques.

— De mademoiselle Caroline, qu’on appelle la sœur Angélique, et qui a deux noms de baptême faute d’un nom de famille, dit brutalement Henri ; qu’est-ce qu’elle me veut ?

— Rien, Monsieur, dit Luizzi révolté de cette grossièreté ; mais j’ai droit d’attendre de vous une explication.

Le militaire regarda autour de lui d’un air insouciant, et répliqua :

— Une explication ici ! L’endroit n’est pas commode, j’ai le bras