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Le père Bruno s’arrêta tout à coup, puis reprit :

— Écoutez ! avez-vous entendu ce houhou ? on envoie quelqu’un pour nous reconnaître.

Ils continuèrent à marcher, et Luizzi remarqua que cette lande, qui au premier aspect lui avait semblé si unie, était traversée en tous sens par de profondes tranchées ou des ravins creusés par les pluies, et coupée de distance en distance de champs de genêts qui n’avaient pas moins de cinq ou six pieds de hauteur. Au moment où ils sortaient de ces épais fourrés, ils aperçurent Bertrand debout devant eux, qui leur cria :

— Où allez-vous comme ça ?

— Nous allons où nous sommes arrivés, dit Bruno ; car c’est toi que nous cherchions.

— Puisque vous m’avez trouvé, dites-moi ce que vous me voulez.

— Ce Monsieur va te l’expliquer, car c’est lui que ça regarde.

— Diable ! fit Bertrand, est-ce qu’il n’en a pas assez d’avoir manqué aller au fond de la mare, comme ça lui serait arrivé sans l’intervention de la sœur Angélique ?

— C’est en son nom que je viens encore, fit Luizzi.

— Pour sauver l’officier ? dit Bertrand d’un ton sombre.

— Pour le sauver.

— Que la sœur Angélique se mêle de ses affaires ! repartit Bertrand avec emportement. Du reste, tant pis pour vous de vous être mêlé de tout ça ! tant pis pour toi, Bruno, de t’en être mêlé aussi ! tu as fait une faute, tu as enseigné à un étranger le chemin du Vieux-Pont ; c’est une trahison, ça, et tu sais ce que ça se paye !

— Le motif qui amène ici ce Monsieur, repartit tranquillement Bruno, ne regarde pas la chouannerie ; ça intéresse la sœur Angélique toute seule. Expliquez-lui ça, Monsieur, et faites votre affaire.

Luizzi allait parler, quand Bertrand reprit la parole en disant :

— Puisque vous avez voulu voir le trou du Vieux-Pont, dit Bertrand, il faut y venir tout à fait à présent ; et puisque vous êtes si curieux, je vais vous montrer un chemin que vous ne connaissez ni les uns ni les autres.

Aussitôt, Bertrand se mit en marche en prenant une espèce de fossé à moitié plein d’eau. Comme Luizzi hésitait à le suivre, Bruno lui dit tout bas :

— Il ne s’agit point de reculer maintenant. Il doit y avoir des gars à droite et à gauche de nous, et peut-être derrière, qui vous saleraient les reins d’une balle, si vous faisiez mine de broncher.

Luizzi se mit à marcher, et, au bout de dix minutes ils arrivèrent dans le creux d’un ravin dont les deux bords avaient été joints autrefois par un pont à deux arches ; l’une d’elles était encore entière et sous laquelle huit ou dix hommes étaient assemblés autour d’un feu qu’ils y avaient allumé. Ils regardèrent à peine Bruno