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nous avons parlé à celui qui a tiré le coup de fusil… vous savez ce petit trapu qui m’a dit : Faut espérer que ça ne sera rien.

— Ce n’est pas lui, grand-père, dit le petit Mathieu ; je sais qui, moi.

— Et l’as-tu dit à ton père ? reprit Bruno, sans s’étonner du secret qu’avait gardé l’enfant.

— Je le dirai d’abord avec mon sabot au gars Louis, le fils à Petithomme, la première fois que je le rencontrerai au pâturage.

— Ah ! c’est Petithomme ? dit le vieillard froidement ; il y a longtemps que Jacques aurait dû s’en méfier. Mais toi, petiot, prends garde au gars Louis, il a deux ans de plus que toi ; tape-le sur l’œil, c’est un bon endroit.

— Soyez tranquille, grand-père, ce ne sera pas la première fois qu’il portera de mes marques. Et, sans s’inquiéter davantage de ce qui pourrait arriver de la querelle de son petit-fils, Bruno s’arrêta et sembla flairer autour de lui.

— Nous devons être tout près de la Grande-Lande, dit-il.

— Oui, grand-père, répondit Mathieu.

— Alors ; cherche à gauche un petit sentier dans les genêts ; Bertrand doit être au trou du Vieux-Pont.

L’enfant eut bientôt trouvé le sentier, et Luizzi, qui voyait s’étendre devant lui une lande de plus d’une lieue de diamètre, demanda si le chemin à parcourir était encore bien long.

— Nous allons au milieu de la lande à peu près répondit Bruno.

— Comment ! repartit le baron, les chouans se cachent dans un endroit si découvert ?

— Regardez : vous verrez en face de vous, un peu à gauche, une petite éminence. C’est au pied de ce petit monticule qu’est le vieux pont. Une sentinelle, placée au sommet et cachée dans les genêts, domine facilement toute la lande. Au moment où je vous parle, Bertrand sait que trois personnes y ont mis le pied et s’avancent vers sa retraite. Il nous attend, parce que nous ne sommes que trois ; mais, si on lui eût signalé un corps de troupes, il serait déjà en route pour s’enfuir du côté opposé.

— Mais s’il s’en présentait de plusieurs côtés à la fois ?

— Quand elles viendraient de dix côtés, peu lui importerait. Il y a vingt sentiers inaperçus qui sortent de la lande ; les gars se disperseraient et fileraient à travers les soldats comme un lièvre entre deux chasseurs. Il n’y a jamais eu qu’un moyen de faire la guerre aux chouans.

— Et lequel ?

— C’est de prendre leurs femmes et leurs enfants, et de les emmener tranquillement à la ville sans leur faire de mal. Ah ! comme les pauvres diables se lasseraient vite s’ils n’avaient ni gîte ni lit ! Ce serait l’affaire de huit jours. Ils rapporteraient au galop leurs fusils et leurs munitions pour ravoir leurs familles, et, une fois désarmés, il faudrait bien qu’ils se tinssent tranquilles.