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ces voitures, enveloppés dans leur cape de peau de chèvre, la tête coiffée d’un large bonnet rouge d’où s’échappaient leurs longs cheveux plats, leurs pieds nus dans leurs sabots et les jambes nues dans des guêtres de cuir qui se joignaient mal, avec une culotte courte ouverte sur le côté extérieur des genoux. L’espèce de chant doux et monotone qui accompagne presque toujours la marche de ces paysans ne le distrayait point de ses réflexions ; cependant il fut frappé de la manière dont on parlait au père Bruno toutes les fois qu’on le rencontrait.

« — Hé ! comment va-t-on chez vous ? Jacques en a-t-il pour longtemps de son épaule ? la blessure est-elle grave ? » lui disait-on à tout moment.

L’événement arrivé à la chaumière depuis trois ou quatre heures à peine était déjà connu de tout le monde ; chacun s’en informait avec intérêt, mais personne ne faisait la plus simple observation de blâme ou de louange sur la conduite de Jacques ni sur celle des chouans. Cependant Luizzi témoigna sa surprise à Bruno de ce que la nouvelle de la blessure de son fils se fût si rapidement propagée.

— Cela n’a rien d’extraordinaire, répondit le bonhomme ; la moitié des gars que nous venons de rencontrer étaient peut-être de la bande. À présent qu’ils ont fait leur coup, il sont rentrés dans les closeries, et les gendarmes y pourront aller sans se douter de rien.

— Je ne comprends pas cela, dit Luizzi.

— C’est pourtant bien facile. On sait combien il y a de chapeaux et de têtes blanches (d’hommes et de femmes) par maison. Que les gendarmes arrivent à l’heure du dîner, par exemple : ils demandent le compte des gens, il faut leur déclarer ceux qui sont aux terres et ceux qui sont au marché, et, s’il en manque, ils en prennent note. Mais comme les gars, lorsque le jour reparaît, sont là ou à l’ouvrage, il n’y a pas moyen de savoir ceux qui font partie des bandes. C’est si vrai que souvent on demande des renseignements sur un mauvais coup précisément à ceux qui l’ont fait. Pour que l’on pût découvrir les gueux qui font de la fausse chouannerie, il faudrait tomber tout d’un coup dans les maisons au milieu de la nuit, et il ne fait pas bon pour les gendarmes de se promener la nuit dans nos chemins.

— Alors, dit Luizzi, nous trouverons Bertrand chez lui ?

— Oh ! non pas ; il est connu, lui ! et s’il va quelquefois dans la maison, ce n’est plus qu’après le soleil couché. Nous le trouverons à la Grande-Lande avec quatre ou cinq autres qui sont forcés de se cacher pour la même raison.

— Ainsi, reprit le baron, nous avons rencontré quelques-uns des hommes qui ont attaqué cette nuit votre maison ?

— Mieux que ça, dit Bruno, je parierais que