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été autrefois les yeux fermés ; mais, maintenant que je suis aveugle, je ne pourrais être aussi sûr de ne pas me tromper…

Le baron ne put s’empêcher de sourire de la singulière prétention du vieillard, et du démenti qu’il lui donnait au même instant. Il reprit :

— Mais, à défaut de vous, ne pourrais-je trouver quelqu’un qui me guiderait ? Je le récompenserais en conséquence.

— Hum ! fit l’aveugle, Mathieu est un petit gars qui sait les chemins sur le bout de son doigt. En lui indiquant l’endroit où doit être Bertrand là cette heure, il vous y mènerait tout droit ; mais ce serait vous exposer l’un et l’autre à un bon coup de fusil, à moins que vous ne fussiez avec quelqu’un qui pût répondre de vous.

— Si vous m’accompagniez, Caroline ? dit Luizzi en se tournant vers sa sœur.

— Moi ? répondit-elle en rougissant. Elle sembla hésiter un moment, puis elle finit par dire en balbutiant : Quel empire aurais-je sur ces hommes ? Vous avez vu que je n’ai rien pu pour Henri, quand j’ai tenté de le sauver sans le connaître.

— Sans doute, dit Bruno ; mais vous avez vu aussi qu’un mot de vous a suffi pour sauver Monsieur, que vous connaissiez.

— N’importe ! répondit Caroline, renoncez à ce projet, mon frère, ne vous exposez pas à quelque affreux danger, pour obtenir une explication qui ne sera peut-être qu’une nouvelle douleur pour moi.

— N’oubliez pas, repartit Luizzi, qu’il y va de votre honneur… et de votre bonheur, peut-être.

— Est-ce comme ça ? dit le père Bruno en se levant ; en ce cas, me voici. Je vous accompagnerai, moi, et le petit Mathieu nous guidera.

— Mais n’est-ce pas vous exposer vous-même au danger dont vous me menaciez tout à l’heure ? dit Luizzi.

— Oh ! c’est bien différent ; il y a entre moi et Bertrand des choses qui le rendront prudent.

— Cela n’a pas sauvé votre fils de ses violences, reprit Caroline.

— Ce n’est pas Bertrand qui a fait le coup ; il ne l’a pas commandé non plus. Je ne vous demande qu’une chose, sœur Angélique, à vous qui êtes si bonne et si charitable pour les pauvres gens. Est-il vrai que votre bonheur dépend de ce que ce Monsieur rejoigne la bande de Bertrand et voie le prisonnier ?

Caroline hésita encore, puis elle répondit en baissant les yeux :

— Je ne puis m’opposer à la volonté de mon frère, et, s’il veut absolument voir M. Henri…

— Oui, ma sœur, je le veux. Songez aussi que Henri est livré sans défense à des hommes qui peuvent lui faire payer de la vie le courage qu’il a montré contre eux. C’est lui aussi qu’il s’agit de sauver.

— Sauvez-le donc, mon frère, et que Dieu vous protége !

— Quand pouvons-nous partir ? reprit Luizzi.

— Le plus tôt sera le mieux, repartit Bruno, le temps d’éveiller Mathieu et de le faire lever.

— Écoutez, dit une voix venant du grand lit qui occupait le coin de la vaste salle.