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dans ma cellule. Enfin, je pensai à la chapelle qui était tout près de la porte du jardin ; je m’y glissai furtivement, et là, à la lueur d’un cierge qui brûlait près d’une relique de Saint-Antonin, je lus ces mots affreux qui me brisèrent le cœur au point que je tombai évanouie. Lorsque je revins à moi, j’étais étendue sur le pavé de la chapelle. Je m’éveillai comme d’un songe horrible, ne comprenant pas pourquoi j’étais dans cet endroit, ne pouvant me rappeler ce qui m’y était arrivé. Enfin, quand je pus me souvenir, j’éprouvai un si vif désespoir que, si la sainteté du lieu n’eût parlé à mon âme, j’aurais brisé ma tête sur les dalles comme on avait brisé mon cœur. Je regagnai ma cellule en chancelant ; je passai le reste de la nuit dans un désespoir sombre où mon âme s’égarait sans résolution ni pour vivre ni pour mourir. Le jour, en m’apportant la lumière, me montra pour ainsi dire une voie à suivre. Dès que je pus voir cette demeure où j’avais tant aimé, tant souffert et tant espéré, je me sentis incapable de l’habiter plus longtemps ; et, au bout de quelques jours, j’avais obtenu de la supérieure de m’envoyer dans une des maisons centrales des sœurs de charité. Ce fut à Évron que je dus finir mon noviciat. J’y vins seule, emportant avec moi mon secret et mon désespoir. Depuis six mois que j’y habite, j’ai passé ma vie dans les plus rudes travaux, attachée à l’hôpital de Vitré, demeurant sans cesse au chevet du lit des malades, espérant que l’aspect de la douleur des autres calmerait les dévorantes ardeurs de la mienne. Mais j’envie vainement ces souffrances du corps sous lesquelles je vois tant d’hommes fléchir. Je venais ici remplir les saints devoirs auxquels je suis vouée, lorsque j’ai revu celui qui a tué ma vie ; car je ne vis plus, mon frère, je n’espère plus.

— Espérez, Caroline, dit vivement Luizzi ; il y a dans tout ceci quelque affreuse machination que je découvrirai.

— Mon frère, que voulez-vous faire ?

— Je verrai Henri, je l’interrogerai.

— Hélas ! il n’est peut-être plus temps.

— C’est ce que je vais savoir.

Et Luizzi entra dans la chambre où veillait encore le père Bruno. XIII

— Monsieur Bruno, dit le baron, y a-t-il quelqu’un ici qui puisse me conduire à l’endroit où se cache la bande de Bertrand ?

— Jadis j’aurais pu vous y conduire, repartit le père Bruno ; je connais toutes les retraites des chouans, il n’en est pas une où je n’eusse