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du Gymnase. Puis il admira avec quelle adresse, ce point une fois établi, Caroline se dévoua pour qu’il n’en fût plus question. Elle osa exiger des comptes de M. Barnet et faire remettre chez madame Gelis les sommes provenant des revenus de sa fortune, depuis qu’elle avait atteint l’âge de dix-huit ans. Enfin de lettre en lettre, de billet en billet, Luizzi arriva au moment où tout était préparé pour la fuite. Henri devait venir attendre Caroline à une porte que le jardinier s’était engagé à ouvrir. Luizzi croyait toucher au dénoûment ; il restait un petit billet à lire, il ne contenait que ces quelques mots :

DE HENRI À CAROLINE.

« Vous m’avez indignement trompé ; je vous renvoie vos lettres, je ne veux rien de vous qui me rappelle jusqu’à quel point j’ai été prêt à m’égarer.

« HENRI. »

Luizzi resta confondu et réfléchit longtemps à ce singulier dénoûment. Puis il appela sa sœur, et la considérant avec une pitié curieuse :

— Et depuis le jour où vous avez reçu ce billet, vous n’avez rien appris ?

— Rien.

— Vous n’avez pas revu Henri ?

— Depuis le jour où je quittai Auterive, c’est aujourd’hui la première fois que je l’ai vu.

— Vous ne savez pas qui a pu vous calomnier à ses yeux ?

— Je l’ignore.

— Mais cette Juliette ?

— Elle ? oh non ! ce n’est pas elle ; elle ne l’avait pas revu plus que moi. Elle ignorait jusqu’à mes projets ; car, depuis que j’étais devenue coupable, je n’osais plus me confier à elle. Je ne me sentais pas la force de rougir devant tant de résignation et de vertu. Je ne voulais pas la rendre complice de ma faute, car son amitié n’eût pas voulu me trahir, et sa conscience lui eût amèrement reproché sa faiblesse. D’ailleurs vous avez pu voir quel secret Henri me recommandait.

— Mais comment se fait-il que vous soyez ici ?

— Le soir venu où je devais partir avec Henri, je m’étais échappée de ma cellule ; je traversai le jardin tremblante et pouvant à peine me soutenir ; la nuit était sombre ; tout dormait dans le couvent. J’arrive enfin à la porte fatale : « Eh bien ? dis-je au jardinier. — M. Henri est venu, me dit-il, mais il a disparu presque aussitôt après m’avoir remis ce paquet et ce petit billet. » Je pensai que quelque obstacle imprévu avait retardé l’exécution de nos projets. Je demandai au jardinier si Henri devait revenir dans la nuit, il n’avait rien dit de plus. J’aurais voulu pouvoir lire ce billet afin de m’assurer de ce qui nous arrivait, mais je n’avais point de lumière