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DE CAROLINE À HENRI.

« Pourquoi m’écrire encore, Monsieur, pourquoi me persécuter dans mon désespoir ? Laissez-moi à mon malheur. Toutes vos suppositions sont fausses. Non, je n’aime pas. Que deviendrais-je, mon Dieu, si j’aimais !

« CAROLINE. »

DE HENRI À CAROLINE.

« J’avais raison, Caroline : vous aimez, le dernier mot de votre lettre me l’a appris. Permettez maintenant à l’ami à qui vous vous êtes confiée de répondre froidement à la triste question que vous vous faites. Que deviendrais-je, dites-vous, si j’aimais ? Ignorez-vous donc que vous êtes libre et que votre position si cruelle d’abandon a du moins cet avantage qu’elle vous laisse maîtresse de vous-même ? À l’âge où vous êtes parvenue, Caroline, votre tuteur vous doit compte de votre fortune ; bientôt vous pourrez, sans avoir besoin du consentement de qui que ce soit, en disposer ainsi que de votre personne. Les souveraines du couvent où vous êtes ne l’ignorent pas, et elles sauront bien vous l’apprendre le jour où elles pourront tourner vos volontés à leur profit. Vous demandez ce que vous deviendriez, Caroline ? vous deviendriez l’épouse honorée et chérie de celui que vous aimez, la sainte mère de famille qui répand son amour autour d’elle comme une douce chaleur qui fait éclore de jeunes vertus ; vous deviendriez la maîtresse absolue d’un cœur qui se ferait votre esclave ; vous deviendriez la joie et l’honneur d’une nouvelle famille, le modèle des grâces les plus parfaites, l’objet de l’admiration et des respects de tous ; vous seriez tout ce que Dieu a voulu que vous fussiez. Voilà cette destinée qui vous épouvante, cette destinée qui est à vous si vous osez la prendre. Mais je tremble, en vous faisant entrevoir le bonheur, d’avoir ajouté un nouveau désespoir à vos souffrances. Car enfin, puisque vous n’osez vous donner à celui que vous avez choisi, serait-ce donc qu’il est indigne de vous, serait-ce qu’il ne vous aime pas ? Ces deux suppositions sont également folles. Votre cœur ne me permet pas de croire à l’une, le mien me dit que l’autre est impossible. Qu’est-ce donc qui vous fait tant souffrir ? Quel secret me cachez-vous ? Oh ! dites-le-moi, Caroline : je vous aime assez pour apprendre que vous en aimez un autre et pour vous donner à lui et vous sauver, dussé-je en mourir !

« HENRI. »

— Par ma foi, pensa Luizzi, voilà qui est d’une niaiserie complète