Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/143

Cette page n’a pas encore été corrigée

elle m’a répondu ces seules paroles : « Ma fille me dit que mademoiselle Caroline est toute changée, et qu’elle passe toutes les nuits dans les larmes, tous les jours en prière. » Je me suis fait répéter cette phrase, et je suis parti comme un insensé. J’ai couru à votre couvent, et ce n’a été qu’au moment de frapper à la porte de la prison où vous êtes que je me suis rappelé qu’il y avait entre nous des murs infranchissables. Oh ! ces murs, je les eusse brisés de mon front si j’avais pu vous sauver ainsi ; mais un reste de raison m’a dit de cacher à tous les yeux une folie dont on pourrait vous punir. J’ai erré toute la nuit autour de cette demeure où vous pleurez, où vous souffrez. J’allais comme un insensé avec la rage de mon impuissance. Oh ! Caroline, écoutez-moi. Vous souffrez, vous pleurez, je le sais ; vous ne pouvez avoir d’autre désespoir que celui de votre position. Osez vous confier à l’honneur d’un homme qui n’a jamais manqué à sa parole, et je vous délivrerai ; puis jamais vous n’entendrez parler de moi. Ou bien me tromperais-je ? Ce désespoir viendrait-il d’une douleur pareille à la mienne ? Aimeriez-vous et seriez-vous séparée de celui que vous aimez ? Eh bien ! Caroline, s’il en est ainsi, osez me le dire encore. Dites-le-moi, et celui que vous aimez deviendra mon frère ; je le chercherai, je le trouverai, je vaincrai les obstacles, je vous réunirai, et puis encore vous ne me verrez plus. Vous ne me verrez plus quand vous serez heureuse. Je fuirai loin de vous, car je haïrais trop celui qui vous donnerait ce bonheur. Un mot, un mot de grâce ! Oh ! fiez-vous à moi, Caroline ! L’amour est aussi une religion, et cette religion a ses martyrs qui savent se sacrifier au culte auquel ils se sont voués. J’attends ; songez que j’attends, et que, si je ne reçois pas de réponse, je ne répondrai plus de ce que je puis faire. Ayez pitié de moi et pitié de vous.

« HENRI. »

Luizzi se gratta l’oreille après cette lecture.

— Ceci, se dit-il, est un amour d’une trempe assez méridionale ; il y a là-dedans du gascon superlatif, ou je ne m’y connais pas. Cependant, reprit-il, les journaux sont pleins de récits de suicides amoureux, de crimes amoureux, d’atrocités amoureuses. On ne peut donc pas absolument nier ces caractères-là. Cet Henri qui, je le comprends très-bien, n’est autre que le lieutenant blessé qu’on vient d’emporter d’ici, doit être, d’après ce qu’en a dit le père Bruno, un brave soldat ; cela ne suppose pas d’ordinaire un malhonnête homme. Allons, il est possible que je n’y comprenne rien, et il continua sa lecture.