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ils restent autour du foyer, au milieu d’une famille et d’amis qui les chérissent, heureux d’un bonheur facile, entourés d’affections sincères au milieu desquelles leur amour avoué semble encore être un secret, tant ils sont seuls à savoir combien il est grand ! Ah ! c’est qu’il y a dans toutes ces choses d’ineffables félicités auxquelles le cœur aspire à son insu. Mais pour les rêver, pour y chercher une espérance qui calme la torture qu’on éprouve, il faut aimer, il faut souffrir ; et vous n’aimez pas, et vous êtes heureuse. Il faut être comme le damné qui envie le bonheur des anges, et vous êtes dans le ciel ; il faut être moi, et non pas vous. Adieu donc, Caroline, adieu. Vous n’entendrez plus parler de moi. Dieu a donc envoyé les anges sur la terre pour y semer le désespoir et la mort ?

« HENRI. »

Luizzi fit la grimace. La lettre de Henri lui sembla d’un amour assez ridicule, mais d’une raison assez solide. À tout prendre, une jeune fille, belle, spirituelle, distinguée, lui paraissait avoir quelque chose de mieux à faire qu’une religieuse. Il se hâta d’ouvrir la lettre qui suivait pour lire la réponse de Caroline, mais il trouva encore une lettre d’Henri d’une date postérieure de plus d’un mois à la lettre précédente.

DE HENRI À CAROLINE.

Il y a dix jours, le jardinier du couvent m’a remis un paquet cacheté à mon adresse ; je l’ai ouvert tremblant d’une joie folle, plein d’une espérance insensée. Il contenait la réponse de Juliette à la lettre de sa mère que j’avais jointe à la dernière que je vous ai écrite, et où je vous disais adieu pour jamais. Vous dire ce que j’ai éprouvé d’affreuse déception m’est impossible : c’est le ciel ouvert qui se ferme tout à coup pour vous laisser dans les ténèbres. On doit souffrir ainsi, quand on meurt ; mais on ne meurt pas toujours, quand on souffre ainsi. Lorsque le délire de ma douleur fut calmé, j’envoyai la lettre de Juliette à madame Gelis, et je restai anéanti. Puis il me sembla que cette lettre m’appartenait, cette lettre que vous aviez touchée et j’eusse voulu la ressaisir au prix de mon sang. On devait y parler de vous, je le comprenais ; et, si je l’avais eue dans mes mains, je ne sais si je ne me serais pas laissé égarer jusqu’à en briser le cachet. Mais elle était partie, et, ne pouvant la reprendre, j’ai voulu la connaître. Je suis allé à Auterive, j’ai vu madame Gelis, je lui ai demandé des nouvelles de sa fille. « Elle est heureuse, m’a-t-elle dit. » Je n’osais lui parler de vous. Enfin j’ai prononcé votre nom en tremblant. Alors