Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/141

Cette page n’a pas encore été corrigée

faire prendre une résolution qui leur livre votre fortune, j’ai pu croire qu’on vous avait égarée, j’ai pu supposer que des menaces, des violences même vous avaient inspiré une détermination que maintenant je sais être volontaire. Ce soupçon m’était permis pour vous qui êtes seule en ce monde, lorsque je vois des familles dont toute l’autorité ne peut arracher leur enfant à des engagements pris sous l’empire d’idées habilement suggérées, lorsque je vois les larmes d’une mère impuissantes à fléchir l’implacable avidité de ces femmes qui vous gouvernent et qui opposent au désespoir maternel une vocation due seulement à la terreur qu’elles savent inspirer aux infortunées dont elles se sont emparées. Ce qui est vrai pour tant d’autres, j’ai pu le croire vrai pour vous ; j’ai dû le croire, lorsque vous m’avez dit que le silence du cloître cachait aussi des douleurs bien cruelles. J’ai mal interprété votre pensée : que ce soit là mon excuse ! Vous êtes heureuse, c’était là tout mon désir. Ce bonheur, je n’ai pas su le comprendre, pardonnez-le-moi. L’idée que le monde nous en donne est si éloignée de l’idée qu’on vous en a faite, que vous ne me comprendriez pas non plus, si je vous parlais de celui qui pourrait vous y attendre. Vous n’avez pas de mère, vous n’avez pas de famille, Caroline ; mais, lorsqu’une femme a donné à celui qu’elle aime le titre sacré de son mari, elle trouve tout ensemble une mère et une famille. Le présent lui est doux par la tendresse de celle qui l’a adoptée pour fille, par le bonheur qu’elle répand autour d’elle ; l’avenir lui est beau, car un jour viendra où de jeunes existences lui demanderont l’amour sacré d’une mère et lui rendront l’amour soumis et respectueux de l’enfance. Elle aimera, et elle sera aimée : ce que Dieu a laissé de bonheur sur la terre est dans ces deux mots. Et je ne vous parle pas de l’amour de celui que vous auriez choisi ; je ne vous dis pas par quelle constante adoration il vous eût payée du bonheur que vous lui auriez donné. Vous ne me comprendriez pas, Caroline, si je vous disais avec quel orgueil il vous eût montrée à tous les yeux, en disant : Celle-là est la plus belle, celle-là est la plus noble, celle-là est la plus pure. Vous me comprendriez encore moins, si je vous disais le charme enivrant qu’il y a dans cette union de deux êtres confondus dans une même vie, se souriant, l’un à l’autre et vivant l’un de l’autre, heureux partout et de tout ; soit que dans une fête le plaisir les entraîne ensemble parmi les joies du monde, soit que dans la solitude ils s’arrêtent à rêver ensemble aux bruits légers de la campagne, soit qu’ils partent légers et joyeux pour un spectacle brillant où on enviera leur bonheur, soit qu’ils rentrent le soir les bras enlacés, se confiant tout bas leurs douces espérances et leurs pensées de chaque moment ; soit qu’