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peut-être un moment vers la plainte d’un malheureux. Toutes les douleurs ne sont pas dans la misère, et vous pardonnerez à celui qui vous aime, comme Dieu pardonne à celui qui souffre. Mais si votre âme noble et bonne vous inspire ce pardon pour une faute qui ne torture que moi, comment le saurai-je ? Qui me dira que je ne vous ai pas offensée ? Oh ! pardonnez-moi ; mais il faut que je l’apprenne, il faut qu’un mot de vous me le dise, ou il faut que je meure. Oui, je le sens, si j’avais eu la force de me taire, j’aurais gardé toute ma vie dans le fond de mon âme le désespoir d’un amour ignoré ; mais, maintenant que j’ai parlé, il faut que je sache si je n’ai pas été trop coupable. Il suffira de votre silence pour me l’apprendre. Si d’ici à huit jours rien n’est venu me dire que je ne me suis pas attiré le mépris de celle que je respecte comme l’image des anges sur la terre, vous n’entendrez plus parler de moi ; car la tombe est muette, et le désespoir y trouve un asile contre le mépris.

« HENRI DONEZAU. »

Quand Luizzi eut fini cette lettre, il lui prit envie de rire. Elle lui parut niaisement ridicule. Ce monsieur, qui dès l’abord parlait de la tombe comme d’un asile tout prêt où il allait entrer, ni plus ni moins que s’il eût été question d’ouvrir son parapluie en cas d’orage, ce monsieur lui parut un pauvre séducteur, à moins qu’il ne fût véritablement amoureux. Car notre baron savait qu’en fait de folles imaginations et d’emphase sentimentale, il n’y a rien de tel que l’amour véritable ; puis il pensa que, si la séduction était arrivée à copier le langage du véritable amour, même dans ce qu’il a d’outré, elle n’en était que plus savante. Il se rappela aussi que cette lettre n’était pas destinée à une femme du monde, à qui la bonne santé de tous ceux qui ont dû mourir pour elle répond de la vie de tous ceux qui menacent de se tuer, mais que cette lettre s’adressait à une jeune recluse que rien ne pouvait prémunir contre un mensonge, et qui, dans le récit qu’elle venait de faire, avait montré jusqu’à quel point son imagination était facile à exalter. Il passa donc à la seconde lettre ; mais il s’aperçut qu’il avait oublié le post-scriptum de celle d’Henri, qui disait ceci : « Je me suis assuré du jardinier du couvent ; quoi que vous puissiez lui confier, il me le remettra facilement. » Après ce paragraphe, le baron fredonna en lui-même : Enfant chéri des Dames, des Visitandines, et, poussant un gros soupir en pensant à ce qu’il allait apprendre, il reprit la lecture des lettres et se laissa aller à murmurer d’un ton alarmé : Ah ! daignez m’épargner le reste ! toujours des Visitandines.

Voici quelle était la réponse de Caroline :