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lèvres et qu’il fallait faire taire ; cette présence d’Henri qui me serrait le cœur sans le faire éclater, tout cela était un tourment insupportable. Le muet à qui la voix manque pour crier au secours lorsqu’il va périr, le nageur à qui la force échappe quand il touche déjà le rivage de la main, doivent éprouver un supplice pareil à celui que je ressentais tous les soirs lorsque Henri s’approchait de moi et me parlait avec une contrainte aussi pénible que la mienne. J’invoquais la solitude du couvent contre cette lutte sans issue, quand le matin même de mon départ je trouvai dans un livre que je lisais une lettre à mon adresse. Je ne la lus pas, car je devinai qu’elle venait de lui, et je voulus la lui rendre. Mais il ne parut pas, et Juliette n’osa la donner à sa mère pour quelle la remît à Henri.

« — Tu peux le dédaigner, me dit-elle, mais tu ne peux le lui montrer à ce point ; il y aurait de la cruauté, ce serait le pousser à quelque acte de violence dont une passion comme la sienne ne s’épouvanterait pas. Il te suffira de ne pas lui répondre. »

— Et vous ne lui avez pas répondu ? dit Luizzi.

— Hélas ! répondit Caroline, pour ne pas lui répondre, il eût fallu ne point lire cette lettre. Mais je ne sais comment cela se fit : le matin en reprenant mes habits de religieuse et ne sachant qu’en faire, je cachai ce papier sous ma guimpe. Je l’emportai. Oh ! le cilice, que nos austères recluses ceignaient quelquefois dans leur enthousiasme de pénitence, ne doit pas plus brûler et déchirer que ce papier qui posait à nu sur mon sein. Vous dire mes combats durant toute la route, combien de fois je portai la main à ma poitrine pour en ôter cette lettre qui me dévorait, et combien de fois ma main retomba sans force comme si j’eusse dû m’arracher le cœur, ce serait vous montrer une folie dont je rougis et qui n’est pas guérie. J’arrivai ainsi à Toulouse, presque résolue à ne pas lire cette lettre ; mais une chose étrange me fit perdre tout mon courage. Lorsque je reparus au couvent, on s’étonna si fort du changement de mon visage, chacune se récria avec tant de pitié sur ma pâleur et mon air de souffrance, que je ne doutai plus de la puissance d’un amour qui avait si rapidement altéré en moi les principes d’une santé calme et d’une vie sereine. Et, vous le dirai-je ? ce fut parce que tout me dit que je portais en moi un mal dévorant, qu’il me devint impossible de résister à l’idée d’irriter ce mal qui faisait et tuait ma vie. Le soir venu, enfermée dans ma cellule, je lus cette lettre.

— Et vous répondîtes ? dit encore Luizzi.

— Vous la lirez, mon frère, celle-là et toutes les autres ; vous lirez aussi mes réponses.

— Vous les avez ? repartit le baron.

— Les voici toutes, dit Caroline en lui remettant un paquet enfermé dans un petit sac de soie ;