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je les connais, moi. Je ne les regrette que pour toi qui n’en as aucune idée. Oui, reprit-elle en souriant et en me regardant doucement, je comprends ta curiosité, c’est si amusant une fête de village ! Et, en vérité, si j’osais…

— Tu m’y mènerais ?

— Seule ! s’écria Juliette, oh ! non… cela ne se peut pas ; mais je prierais ma mère de nous y accompagner.

— Ta mère ? lui dis-je ; mais que peut-on dire si ta mère nous y accompagne ?

— Rien, sans doute, et cependant… Mais je n’oserais jamais lui en parler… Si tu voulais le lui dire, toi…

— Mais je n’oserais pas non plus.

— Je suis sûre cependant que tu lui ferais grand plaisir.

— Oh non ! lui dis-je, elle se croirait obligée à consentir ; dans ma position, une pareille demande serait peut-être une exigence… »

Juliette parut blessée de cette réflexion ; cependant elle me répondit, après un moment d’hésitation :

« — Je ne puis t’en vouloir de ce scrupule, tu es si ignorante des sentiments du monde que tu ne peux penser autrement ; mais, crois-moi, c’est une plus noble délicatesse de donner à quelqu’un l’occasion de paraître reconnaissant d’un bienfait que de dédaigner d’en parler.

— Oh ! s’il en est ainsi, m’écriai-je, je lui demanderai tout ce que tu voudras, je lui demanderai de nous conduire à cette fête.

— Et je t’en remercierai pour ma mère, dit Juliette, car ainsi tu te montreras bonne pour elle et pour moi. »

Dès que nous fûmes rentrées chez madame Gelis, sa fille alla la prévenir que je lui voulais parler. Comme elles demeurèrent assez longtemps enfermées ensemble, je craignis que Juliette n’eût parlé à sa mère de la demande que je voulais lui faire et que celle-ci ne voulût pas me l’accorder ; mais, dès que j’en eus parlé à madame Gelis, elle accepta avec un empressement qui me montra que je m’étais trompée. Cette excellente femme était si heureuse de pouvoir satisfaire un de mes désirs, que je compris que Juliette avait raison de penser que c’est une bonne chose ajoutée à un bienfait que d’en solliciter la reconnaissance.

Le baron écoutait sa sœur avec étonnement. Cette jeune fille, qui disait avoir fait une triste expérience du monde, en parlait avec une si naïve bonne foi qu’il ne put s’empêcher de sourire de cette dernière réflexion. Mais, bien décidé à ne laisser rien voir à sa sœur des sentiments que lui inspirait son récit, il se tut encore. La jeune fille s’était arrêtée, et ce moment de silence leur avait laissé entendre les tristes efforts de la tempête gémissant autour de la maison. Ce long et sombre murmure de la pluie, traversé par les longues plaintes du vent, semblèrent l’attrister d’avance sur ce qu’il allait apprendre, et il pria Caroline de continuer.

— Nous partîmes pour la fête, dit-elle. Oh ! quelle belle et douce