Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se fatigue et s’abat. Toute autre qu’Eugénie eût pu user la sienne dans les cris, dans les larmes, dans le désespoir ; elle la fit servir à l’accomplissement de cette brusque détermination. En rentrant chez elle, Eugénie tomba pour ainsi dire épuisée, et ce fut à cet épuisement qu’elle dut de laisser encore arriver jusqu’à elle les prières d’Arthur. Il lui avait écrit. Par une étrange coïncidence, sa lettre conseillait à Eugénie de faire précisément ce qu’elle avait fait.

« Quittez Paris, lui écrivait-il ; Thérèse a entendu le terrible aveu que vous m’avez fait, et elle m’a menacé de divulguer votre position. Partez pour l’Angleterre. Je vous en fournirai les moyens. D’ici à peu de semaines j’irai vous rejoindre. N’oubliez pas que vous m’avez dit que cet enfant que vous portez dans votre sein m’appartenait. Vous me le devez, vous n’êtes plus maîtresse de disposer de votre vie, elle m’appartient jusqu’à ce que je possède ce trésor qui est à moi. D’ici au moment où il viendra au jour, j’obtiendrai je l’espère, un pardon dont je sens maintenant que je ne puis plus me passer. Si Arthur qui vous aime a perdu le droit de vous supplier de vivre, le père de votre enfant a presque le droit de vous l’ordonner. »

Cette lettre, dont je ne te dis que quelques mots, fut remise à Eugénie par cet ami d’Arthur qui l’accompagnait la première fois qu’elle l’avait rencontré aux Tuileries. Eugénie la lut d’un bout à l’autre sans prononcer une parole, et, lorsque Back lui demanda ce qu’il devait répondre à Arthur, Eugénie réfléchit un moment, puis lui dit d’un ton calme et résigné :

« — Dites-lui, Monsieur, que dans quinze jours je serai en Angleterre et que, si je l’y revois, j’écouterai, non pas sa justification, un père n’en a pas besoin vis-à-vis d’une mère pour la persuader de l’intérêt qu’il prend à son enfant ; mais dites-lui aussi que ce ne sera que là, et seulement à ce titre, que je le reverrai jamais. »

Pour qu’Eugénie pût tenir l’engagement qu’elle avait pris en elle-même de ne plus revoir Arthur, il aurait fallu que celui-ci consentît à ne plus la poursuivre. Il s’attacha aux pas d’Eugénie, forcée de sortir tous les jours pour les préparatifs de son départ. Il l’obligea à écouter les assurances sans cesse renouvelées de son repentir. Ce n’était plus le jeune homme amoureux et violent qui parlait ; c’était le père qui comprenait toute la portée de ses devoirs, l’honnête homme un moment égaré qui était décidé à réparer son crime. Eugénie voulut le croire. Elle ne l’aimait pas d’amour, mais elle lui avait appartenu, mais il était le père de son enfant, et elle accueillait avec joie l’espérance qu’à ce titre du moins il mériterait son estime. Enfin il alla assez loin dans ses pro-