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Et nous nous mîmes à retourner toute la chambre sans rien pouvoir découvrir. Au moment où Juliette commençait à s’impatienter, madame Gelis survint et nous expliqua ce qui était arrivé. Il paraît que la servante avait renversé une lampe sur mes habits en voulant les nettoyer, et madame Gelis était allée les porter chez un dégraisseur. Celle-ci menaçait de chasser la servante qui ne voulait pas absolument avouer sa faute ; mais Juliette, toujours bonne et indulgente, pria si bien sa mère, que celle-ci pardonna. Nous restâmes seules avec Juliette.

« — Allons, dit-elle avec sa douce bonté et sa gaieté facile, il est décidé que tu seras la seule jolie. Nous allons visiter un peu la ville. J’aurai l’air d’une sévère matrone à qui on a confié une belle pensionnaire. On te regardera, et je te dirai gravement : Baissez les yeux, Mademoiselle.

— Mais, si je sors ainsi, ne peux-tu faire comme moi ? lui dis-je en la suppliant.

— Oh ! non, me répondit-elle, si on venait à l’apprendre au couvent, je serais cruellement punie. Toi, tu es riche, on te pardonnera ; mais moi…

— Nous sommes à mille lieues de Toulouse, personne ne le saura.

— Je n’ose pas. »

Je la suppliai tant, qu’elle consentit. Je l’habillai à son tour. Elle était charmante, ainsi vêtue ; la flexibilité de sa taille se montrait dans toute sa grâce ; le feu de son regard, le charme de son sourire, animaient d’une expression dont je n’avais pas d’idée son visage encadré dans de longs cheveux bouclés ; sa robe entr’ouverte laissait voir la souplesse et la blancheur de son cou, autour duquel elle avait attaché un étroit ruban de velours ; elle avait beau me vanter, elle était bien plus jolie que moi. Quand nous fûmes prêtes, nous sortîmes ensemble. Nous rencontrâmes mille personnes, toutes se dirigeant du côté de Sainte-Gabelle ; beaucoup nous parlèrent, disant toujours à Juliette : « Ne venez-vous pas à la fête avec cette charmante personne ? Nous nous verrons à Sainte-Gabelle, n’est-ce pas ? » Juliette répondait avec embarras : « Je ne sais, je ne crois pas. » Je lui demandai alors pourquoi elle ne répondait pas franchement que nous ne pouvions y aller.

« — Je n’ose pas, me dit-elle.

— Et pourquoi ?

— Oh ! c’est que l’on n’a pas ici les mêmes idées qu’au couvent. Si je disais gravement que de saintes femmes en Dieu comme nous ne peuvent se mêler à de pareils plaisirs, on nous traiterait de dévotes ridicules. Ce serait d’ailleurs avoir l’air de blâmer toutes ces jeunes filles qui vont à la fête, leurs mères qui les y conduisent, car c’est un plaisir honnête, quoiqu’il nous soit défendu.

— Tous les plaisirs ne nous sont-ils pas défendus ? lui dis-je en soupirant.

— Oh ! reprit Juliette d’un ton indifférent, peu m’importent toutes ces réunions !