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mais pendant longtemps je ne fis que rêver danse, musique, beaux jeunes gens, fête, plaisir ; on me disait que j’étais jolie, que j’étais aimable, qu’on m’aimait. Jamais au couvent je n’avais eu un sommeil si fatigant, et il était bien tard quand je perdis l’agitation qu’avait fait naître en moi cette bonne et innocente soirée. Le lendemain, quand je m’éveillai, j’étais seule dans la chambre. Lorsque je voulus me vêtir, je ne trouvai plus mes habits de novice ; la robe que j’avais essayée la veille était seule sur une chaise. J’appelai Juliette, mais elle était au rez-de-chaussée, dans le petit magasin de sa mère ; elle ne m’entendit pas. Je m’habillai du mieux que je pus, et je descendis. J’entrai étourdiment dans le magasin, et je me trouvai en face d’un jeune homme qui rapportait des livres chez madame Gelis. Je fus si honteuse que je m’enfuis dans l’arrière-boutique. Juliette m’y suivit ; elle portait son costume du couvent.

« — Qu’as-tu fait de mes habits ? lui dis-je.

— Ils sont dans ta chambre.

— Je ne les ai pas trouvés. »

Juliette se mit à rire et répondit :

« — On cherche toujours mal ce qu’on n’a pas envie de retrouver.

— Je te jure…

— Est-ce que j’ai l’air d’une supérieure ? reprit Juliette. Ne jure pas et ne mens pas : l’avantage de la liberté, c’est de nous, sauver d’un vice affreux, de l’hypocrisie. Là où on ne fait pas des fautes des moindres actions, on n’a pas besoin de mentir pour les cacher. Tu t’es trouvée jolie ainsi habillée, tu as voulu rester jolie, ce n’est pas un grand crime.

— C’est mal, Juliette, de me soupçonner ; viens là-haut toi-même, et tu verras.

— Tout à l’heure, repartit Juliette, il faut que j’aille remettre à M. Henri les livres qu’il demande. »

Juliette me laissa seule et je remontai dans la chambre. Je cherchai dans tous les coins, je ne pus découvrir mes habits. J’attendis alors pour qu’on vînt m’expliquer cette disparition étrange ; et, ne sachant que faire, pardonnez-moi, mon frère, de vous dire de telles puérilités, je me mis à me regarder dans une glace, je me laissai aller à imiter les poses, les sourires, les regards de Juliette, et ma vanité s’oubliait à ce jeu quand Juliette rentra.

« — Très-bien, me dit-elle, très-bien ! Si M. Henri t’avait vue ainsi, il te trouverait bien plus belle encore. »

Je devins si confuse que je me sentis prête à pleurer.

« — Allons, allons, reprit Juliette en riant, cherchons tes habits maintenant ; car je veux que tu les reprennes. C’est bien mal à moi, n’est-ce pas ? mais je serais trop laide à côté de toi avec mes voiles et mes grands jupons noirs, et je serais jalouse.

— Folle ! lui dis-je en l’embrassant. »