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« — C’est toi, m’écriai-je, qui serais jolie ainsi habillée ! Tiens, mets ta robe.

— Oh ! j’en ai bien d’autres, me dit-elle. Tu vas voir ; nous allons faire un bal à nous deux. »

Et avec une rapidité merveilleuse elle jeta ses habits de novice et se rhabilla avec une robe qui laissait voir son cou et la naissance de ses épaules. Vous ne pouvez vous imaginer comme elle était charmante ainsi, souple et légère, ses cheveux tombant en longs anneaux le long de ses joues !

« — Tiens, me disait-elle en cambrant sa jolie taille, marche ainsi. Suppose qu’un beau jeune homme passe et qu’il te salue : si on ne le connaît pas, on détourne ainsi les yeux d’un air froid ; si c’est une simple connaissance, on le salue légèrement en s’inclinant ; si c’est un ami, on lui fait ainsi un signe de la tête et de la main. »

Et Juliette faisait tout ce qu’elle disait avec une aisance et une grâce qui me ravissaient. Puis elle me dit :

« — Allons, essaye. »

Et pendant que je l’imitais, elle s’écriait à tout propos :

« — Mais tu es charmante ! il semble que tu n’as pas fait autre chose toute ta vie. Vrai ! si tu voulais, je parierais qu’en deux leçons tu danserais aussi bien que moi.

— Oh ! pour cela, non, lui dis-je.

— C’est ce que nous allons voir, répondit-elle ; je vais commencer, tu feras comme moi. »

Et voilà que nous nous plaçons en face l’une de l’autre et qu’elle se met à chanter et à danser ; puis moi après elle, et malgré moi j’y prenais un vif plaisir, car Juliette semblait heureuse et fière de me voir si jolie. Elle me le répétait à chaque instant en me disant toujours :

« — C’est au point que si la supérieure et M. Barnet te rencontraient à la fête, ils ne te reconnaîtraient pas.

— Ni toi non plus.

— Et c’est si amusant ! me dit-elle ; des marchands de toute espèce, des danses sous les arbres, des jeux, et puis un monde ! toutes les belles dames des environs avec leurs filles et leurs maris ; les jeunes gens du pays venus à cheval ou en calèche, se promenant dans la foule, adressant des compliments aux plus jolies, les invitant à danser, les regardant d’un air amoureux ! Si tu pouvais y aller, tu aurais une cour à faire enrager toutes ces petites bégueules qui n’ont pas voulu t’inviter chez elles.

— Oui ! oui ! lui dis-je tristement ; mais c’est un plaisir qui ne nous est plus permis.

— C’est vrai, reprit Juliette, tu as raison, et il vaut mieux dormir que de penser à tout cela, maintenant que nous ne pouvons que le regretter. »

Nous quittâmes nos jolies robes et nous nous couchâmes ;