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— Parce qu’on n’est pas belle avec une guimpe et un bandeau. Tiens, toi, par exemple, si tu avais les cheveux bien arrangés, tu serais jolie comme un amour, la plus jolie de toute la fête.

— Ne te moque pas de moi, Juliette.

— Je te dis vrai : tu as le visage si blanc, les yeux si doux ! »

Caroline s’arrêta un moment, et dit à son frère en baissant les yeux :

— Je vous répète ces folies, parce que je veux que vous sachiez toute la vérité. D’ailleurs Juliette me parlait ainsi, parce qu’elle m’aimait tant qu’elle me vantait à tout propos.

— Je le crois, dit Luizzi ; mais continuez, Caroline.

— Pendant que Juliette me disait tout cela, reprit la jeune sœur, elle m’ôtait ma guimpe, mon bandeau, et dénouait mes cheveux qui tombèrent sur mes épaules nues ; elle s’arrêta un moment, me contempla d’un air presque fâché, et me dit à voix basse :

« — Oui, vraiment, vous êtes belle, trop belle peut-être ! »

Mais presque aussitôt elle sembla chasser cette fâcheuse idée, et reprit avec gaieté :

« — Tu serais admirablement jolie avec tes cheveux nattés comme cela, fit-elle en les disposant autour de mon visage. Et si je te mettais une de mes pauvres robes que je ne dois plus mettre, je suis sûre que tu aurais une taille charmante. Veux-tu essayer ?

— Laisse-moi voir d’abord dans la glace quel visage me fait cette coiffure.

— Non, non ; quand tu seras tout à fait habillée, tu te regarderas ; je suis certaine que tu ne vas pas te reconnaître. »

Et, sans me laisser le temps de lui répondre, elle m’ôta tous mes lourds vêtements, et m’habilla avec une robe de soie, un fichu brodé ; elle me coiffa, me para le mieux qu’elle put, puis elle me conduisit devant une grande glace, et me dit :

« — Tiens, regarde ! »

Elle avait raison, je ne me reconnus pas, et je m’écriai : « Est-ce bien moi ! »

« — C’est-à-dire, reprit Juliette, que, si tu paraissais ainsi à la fête, tu ferais tourner la tête à tous les danseurs.

— À condition que je ne danserais pas, lui répondis-je en riant de son enthousiasme.

— Toi ? Mais on danse toujours à merveille avec une jolie taille comme la tienne ; et puis c’est si facile de danser comme on danse aujourd’hui ! il suffit de marcher en mesure. »

Et comme elle disait cela, elle se mit à chanter un air et à danser avec une grâce parfaite, malgré ses habits de novice ; elle souriait avec son charme si attrayant, et ses yeux vifs doucement voilés semblaient balancer leur doux regard au mouvement de son corps et de son chant.