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et toujours le mal est le prix ou la conséquence du bien ! Mais, dites-moi, Caroline : comment cette action a-t-elle pu être la source de vos malheurs ?

— Le voici. Ce que je viens de vous raconter se passait dans le mois d’août. Vers la fin de septembre, madame Gelis vint à Toulouse, et nous la vîmes au couvent. La manière dont cette excellente et malheureuse femme me remercia me rendit confuse. Sa reconnaissance n’avait pas d’expressions assez vives pour celle qui lui avait sauvé l’honneur et la vie ; car, me dit-elle dans un mouvement d’exaltation, j’étais résolue à mourir.

« — Et je ne vous aurais pas survécu, ma mère, s’écria Juliette en tombant dans les bras de madame Gelis. »

Le spectacle de cette tendresse mutuelle me fit mal. Je compris mieux que je ne l’avais fait jusque-là combien j’étais seule en ce monde ; il me sembla que j’aurais préféré la misère et le malheur de cette fille, qui avait une mère, à ce bonheur et à cette fortune qui l’avait sauvée. Cependant, parmi les témoignages de la reconnaissance de madame Gelis, elle m’en offrit un qui me fit un vif plaisir.

« — Je viens chercher ma fille pour quelques jours, me dit-elle, daignez l’accompagner dans la maison que je dois à votre bienfaisance. Venez, vous y serez reçue comme un ange sauveur. Ne me refusez pas ; ce serait m’humilier, ce serait me reprocher le bien que vous m’avez fait en ayant l’air d’en rougir.

— Et ce n’est pas mon intention, Madame, lui dis-je, et j’accepte avec joie, si madame la supérieure veut me permettre de vous accompagner.

— Il vous suffira de le lui demander. »

Je courus chez la supérieure, qui me refusa d’abord avec une froideur que je ne lui avais jamais vue à mon égard. Cette rigueur m’irrita, et je ne pus me contenir assez pour ne pas lui dire que ce n’était pas ainsi qu’elle me rendrait supportable le séjour du couvent. Elle me traita alors avec une sévérité qui me montra combien mon emportement était déraisonnable. Étonnée moi-même de mon audace, je changeai de ton et la suppliai de m’accorder comme une grâce ce que je lui demandais.

« — Hélas ! lui dis-je, c’est la première fois que moi, pauvre orpheline, je trouve quelqu’un qui veuille bien me recevoir, quelqu’un qui ne me repousse pas, et vous m’enlevez la première consolation qui me fasse oublier combien je suis abandonnée ! »

Mes larmes parurent toucher la supérieure plus que je ne m’y attendais d’après la manière dont elle m’avait accueillie, et elle finit par me répondre :

« — Allez, Angélique (en commençant mon noviciat j’avais pris