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répondit-elle, toi qui n’as jamais vécu hors de ce couvent ; ma mère a été victime de la friponnerie d’un négociant, elle a répondu pour lui.

— S’agit-il d’une lettre de change ? lui dis-je. »

Juliette me regarda avec une telle surprise, que je ne pus m’empêcher de rire malgré sa douleur.

« — Qui t’a appris ce mot ? me dit-elle.

— As-tu donc oublié qu’avant d’entrer ici je demeurais chez M. Dilois, et que, tout enfant que j’étais, j’avais déjà ma place dans les bureaux de la maison de commerce que dirigeait ma mère adoptive ? »

— Oui, oui, dit Luizzi, en interrompant le récit de Caroline, je me rappelle cette jolie enfant assise derrière un grand bureau et écrivant d’un air si mutin les factures que lui dictait Charles.

— Le pauvre Charles ! répondit Caroline, il est mort aussi.

— Oui, oui, lui, mon pauvre frère, repartit le baron accablé de ce douloureux souvenir qui, de même que tous ceux qu’il évoquait, ne lui présentait que des malheurs qui étaient son ouvrage.

Mais aussitôt, et comme pour les écarter, il ajouta :

— Continuez, Caroline, continuez.

Elle reprit :

— C’était une lettre de change en effet que cette bonne madame Gelis ne pouvait acquitter et pour le remboursement de laquelle elle était menacée de voir saisir et vendre ses marchandises. Il s’agissait d’une somme de douze cents francs, je crois.

— Comment ! m’écriai-je, tu ne m’as pas dit cela ? mais je puis te les donner.

— Je ne demande pas l’aumône, ni ma mère non plus, répondit Juliette avec une fierté qui me parut blessante, mais que j’excusai presque aussitôt.

— Si tu ne veux pas que je te les donne, lui dis-je, je puis te les prêter.

— Oh ! que de reconnaissance ! s’écria-t-elle… Puis elle s’arrêta et reprit : Mais, non. Si l’on apprenait cela dans le couvent, Dieu sait ce qu’on dirait ! On prétendrait que je t’ai priée, que j’ai mendié, que j’ai abusé de ton amitié… Non, non.

— Et par crainte de quelques méchants propos, tu refuses de sauver ta mère ?

— Ma pauvre mère, ma bonne mère ! s’écria Juliette en éclatant en larmes… Faut-il que je n’aie rien, pas la moindre ressource, pas un bijou, rien à lui envoyer !

— Mais j’ai de l’argent, moi, dis-je à Juliette.

— Non, me dit-elle, la supérieure me punirait cruellement d’avoir accepté ce service, en disant que je te l’ai extorqué.

— Elle n’en saura rien, lui dis-je.

— C’est impossible.

— Je te l’assure.

— Mais comment feras-tu ?

— Cela me regarde, pourvu que tu acceptes. »

Juliette hésita longtemps. Mais, à force de supplications, et surtout lorsque je lui eus bien promis que la supérieure ignorerait ce que j’allais faire, elle laissa vaincre sa fierté et finit par consentir.