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à ce qu’il vous appelle à lui ! Puissiez-vous y trouver un asile contre le sort qui a frappé tous ceux de votre sang ! »

Caroline s’arrêta, et Luizzi devint tout pensif.

— Barnet vous a-t-il dit cela ? dit le baron après un moment de silence.

— Il me l’a dit, mon frère ; et peut-être m’expliquerez-vous cette fatalité dont il m’a menacée.

— Je puis la connaître, mais je ne puis pas vous l’expliquer ; cela m’est défendu. Toutefois elle est bien terrible et bien puissante, puisqu’elle vous a atteinte jusque dans la maison de Dieu, et que vous y êtes devenue coupable et malheureuse. Mais parlez, ma sœur, je vous écoute.

Caroline reprit :

— J’avais onze ans lorsque j’entrai chez les sœurs en qualité de pensionnaire. Je vécus heureuse et gaie jusqu’à seize ans, un peu gâtée par la bonté des religieuses, si j’eusse voulu croire les propos de mes compagnes. Car, disaient-elles, on espérait me faire prononcer mes vœux et acquérir ainsi au couvent la modeste fortune que je possédais et qui passait pour considérable aux yeux de femmes qui font vœu de pauvreté.

— Cela n’est pas impossible, dit le baron.

— Ne le croyez pas, Armand, répondit Caroline avec une candide expression de foi ; jamais on ne m’a adressé une parole touchant ma fortune ; jamais on ne m’a fait une allusion qui me donnât le droit de supposer que le peu que je possède fût un objet de convoitise pour les mères.

Le baron pensa que cela pouvait bien ne prouver que beaucoup d’adresse. Mais il garda cette réflexion, autant pour ne pas interrompre le récit de la jeune fille que pour lui épargner une désillusion sur les personnes avec lesquelles elle paraissait décidée à vivre. Caroline continua :

— Mes premiers ennuis commencèrent dès que j’eus atteint seize ans. Jusqu’à cet âge, j’avais vécu avec les jeunes pensionnaires entrées comme moi au couvent ; nous avions grandi ensemble, toutes du même âge, toutes avec des goûts semblables, aimant et cherchant les mêmes plaisirs, livrées aux mêmes occupations, partageant les mêmes études et les mêmes travaux. Un seul chagrin venait de temps à autre troubler ma douce insouciance. Il y avait des jours marqués où mes compagnes sortaient du couvent pour aller dans leurs familles, et ces jours-là elles s’invitaient entre elles chez leurs parents ; puis, quand elles étaient rentrées au couvent, elles faisaient aux autres le récit de leurs plaisirs. Jamais je ne reçus une telle invitation ; j’en demandai souvent la cause à la supérieure, qui me répondait que les familles de ces demoiselles ne me connaissant pas ne pouvaient m’inviter ; puis elle séchait mes