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qui a voué au mal tous ceux de notre famille, a pesé sur vous comme sur moi, je le crains ; mais vous, vous n’aviez ni richesse, ni nom, ni personne pour vous protéger, et je ne pourrai que vous plaindre.

Luizzi donna un siége à sa sœur et prit place à côté d’elle, triste déjà de cette pensée qu’il allait apprendre l’histoire d’une vie coupable ou égarée. La jeune fille se recueillit un moment, et commença ainsi :

— Vous savez comment Sophie fut obligée de quitter Toulouse. Cependant son désespoir ne lui fit pas oublier la pauvre enfant qu’elle avait adoptée : elle plaça sous mon nom une somme de soixante mille francs chez M. Barnet, son notaire et le vôtre, je crois. Cette somme doit m’être remise à ma majorité, selon le vœu de Sophie. Une partie des revenus a servi à payer les frais de mon entretien et de mon éducation, l’autre a été placée par M. Barnet pour être jointe au capital, et il y a peu de jours que j’ai reçu une lettre de ce digne homme qui m’annonce que ma fortune s’élève aujourd’hui à près de quatre-vingt mille francs, et que c’est une dot assez considérable pour que je trouve un parti honorable, si je veux rentrer dans le monde, car je n’ai pas encore prononcé mes vœux.

— Et vous ne les prononcerez jamais, je l’espère, dit le baron.

— Je les prononcerai bientôt, mon frère, répondit Caroline ; je connais le monde, et je sais tout ce qu’il renferme de duplicité.

— Où donc avez-vous vécu, pauvre sœur, pour en prendre une si mauvaise opinion ?

— Depuis le jour où Sophie a quitté Toulouse jusqu’à l’heure où je vous parle, j’ai vécu au couvent.

— Et vous prétendez connaître le monde ?

— Assez pour ne pas vouloir le connaître davantage, répondit Caroline en poussant un profond soupir et en laissant échapper quelques larmes de ses beaux yeux bleus tournés vers le ciel.

— Mais est-ce donc en vous plaçant dans un couvent que M. Barnet crut accomplir les vœux de l’infortunée Sophie ?

— Le bon notaire fit pour le mieux. Vous vous rappelez peut-être madame Barnet, et combien elle était acariâtre et dure ? Pour ma part, après deux semaines passées dans sa maison, j’acceptai comme un bienfait de mon tuteur la proposition qu’il me fit de me placer au couvent des sœurs de la charité. Une raison, que M. Barnet ne m’a jamais expliquée, sembla aussi le déterminer, et je n’ai jamais oublié les paroles étranges qu’il me dit à ce sujet : « Vous êtes la fille d’un Luizzi, me dit-il, bien que, vous n’ayez pas le droit de porter ce nom. Le monde a été un écueil fatal pour tous les membres de cette famille : il semble qu’une fatalité implacable les y poursuive. Entrez dans un couvent, mon enfant ; et puisse Dieu vous inspirer le désir d’y rester jusqu’