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Mais elle s’arrêta en regardant autour d’elle, et Jacques, qui vit ce mouvement, se hâta de dire :

— Si vous avez à parler en particulier à ce Monsieur, entrez dans cette chambre ; vous y serez seuls, et j’espère que vous n’y serez troublés par personne maintenant.

La religieuse remercia Jacques d’un geste affectueux et passa la première en murmurant tout bas :

— Mon Dieu ! mon Dieu ! que c’est étrange !

Luizzi la suivit et ferma la porte ; puis il s’approcha de la sœur Angélique et lui dit :

— Caroline ! Caroline ! Oui, je connais ce nom ; mais tant de choses me sont arrivées depuis que je l’ai entendu prononcer…

La sœur de charité releva les grands bords de sa coiffe blanche qui cachait son visage, et reprit :

— Regardez-moi, Armand, regardez-moi bien. Ne retrouvez-vous rien dans mon visage qui vous soit connu ?

— Oui, dit Armand en examinant attentivement la belle et sainte figure de la jeune fille. Mais le souvenir qui se présente à moi est bien singulier ; on dirait qu’il est double. Je crois vous avoir vue beaucoup plus jeune, et il me semble en même temps que je vous ai vue beaucoup plus âgée.

— Et vous avez raison, Armand ; car vous vous rappelez à la fois l’enfant que vous avez vue à Toulouse, et la noble femme, la pauvre sœur qui m’a tenu lieu de mère, et à laquelle on dit que je ressemble tant.

— Oh ! Caroline ! ma sœur ! s’écria Luizzi. Caroline ! pauvre enfant ! devais-je vous retrouver ainsi, vous ?

— Hélas, reprit la jeune fille, depuis que Sophie, vous savez, madame Dilois ? fut obligée de quitter Toulouse…

— Par mon crime, dit le baron.

— Depuis ce temps, Armand, j’ai bien souffert !

— Et maintenant qu’elle est morte…

— Morte ! reprit la religieuse.

— Oui, morte sous le nom de Laura de Farkley, et toujours par mon crime, répondit Armand ; car j’ai été fatal à tous ceux que j’ai aimés ou qui m’ont approché.

— Et comment ? mon Dieu ! dit Caroline.

— Je ne peux pas… je ne dois pas vous le dire. Mais vous, Caroline, qu’êtes-vous devenue depuis dix ans ? Quelle a été votre vie ?

— La vie bien triste et bien douloureuse d’une pauvre enfant sans famille.

— Il faut me dire vos malheurs, Caroline ; il faut que je les répare…

— Je vous dois cette confidence, mon frère, et je vais vous la faire. Je vous dirai tout. Que Dieu me pardonne, et vous aussi, de parler encore sous ce saint habit de fautes dont j’ai reçu un si cruel châtiment, de sentiments que la pénitence n’a pu éteindre, et que le Seigneur laisse sans doute vivre en moi pour qu’ils soient mon éternelle torture !

— Parlez, Caroline, parlez, je serai indulgent. La destinée,