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— C’est que je veux que tout vous soit exactement rendu, à l’exception des armes, si vous en aviez.

Ceci n’étant pas une question, Luizzi se dispensa de répondre, et Bertrand reprit :

— Et quel est votre nom ?

— Mon nom, dit le baron, je ne peux pas… je ne peux pas vous le dire…

— Nous le verrons sur votre passe-port, dit Bertrand, si vous aviez véritablement un passe-port qui puisse se montrer.

— Il me semble, reprit le baron, qui avait fini par comprendre dans quel embarras il s’était mis par son mensonge et ses hésitations, il me semble qu’il vous importe peu de savoir qui je suis. Je ne vous redemande ni ma voiture ni mon argent ; laissez-moi libre, c’est tout ce que je veux de vous.

— Oui-da ! fit le chouan, j’en suis convaincu, et je crois même que vous n’avez pas lieu de tenir beaucoup à l’argent et à la voiture que vous avez perdus.

Comme il achevait ces paroles, le garçon de ferme envoyé à la poste par Jacques Bruno rentra en courant.

— Eh bien ! Bonfils, dit Bertrand, tu as fait la commission de ton maître ?

Le garçon s’arrêta, regarda Jacques blessé et baissa la tête.

— Répondras-tu, failli gars ? dit Bertrand avec colère. J’ai entendu cet homme à la croix de Véziers raconter son histoire au père Bruno, et je sais où l’on t’a envoyé ; ainsi parle, qu’as-tu appris ?

— Ma foi ! dit Bonfils, je vas vous le dire : il n’est point passé de chaise de poste depuis deux jours à Vitré.

— Je m’en doutais, fit Bertrand. Holà, vous autres ! prenez-moi ce gueux-là, attachez-le comme un veau par les quatre pattes, et jetez-le-moi au fond de la grande mare.

— Moi ! s’écria Luizzi en reculant devant les quatre ou cinq paysans armés qui entrèrent à la fois ; moi ! et pourquoi ?

— Parce que c’est ainsi que nous traitons les espions.

— Mais je ne suis pas un espion, je suis étranger à ce pays.

— Et qui es-tu donc enfin ? dit Bertrand.

— Je suis… je suis le baron de Luizzi.

— Le baron de Luizzi ! répéta soudain une voix de femme ; et tout aussitôt la sœur Angélique s’approcha d’Armand, et, le regardant en face, elle lui dit : Vous êtes le baron de Luizzi ?

— Oui, Armand de Luizzi.

— En effet, dit la sœur en l’examinant ; oui, c’est vrai…

— Mais qui êtes-vous, ma sœur, vous qui paraissez me connaître ? Seriez-vous donc entrée quelquefois dans la maison d’où je sors ?

— Je ne sais d’où vous sortez, répondit Angélique… et quant à moi… je suis… Mais peut-être m’avez-vous oubliée, depuis dix ans… J’ai à vous parler, Armand, quoique je vous aie retrouvé trop tard…

Tandis que le baron, sauvé par cette intervention inattendue,