Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/113

Cette page n’a pas encore été corrigée

pas pris son fusil, il ne lui serait rien arrivé. Il a voulu parler, on lui a répondu.

— Ton tour viendra, reprit Bruno.

— Quand il plaira au ciel.

— Osez-vous l’invoquer après un pareil crime ? dit Angélique.

— Oui, ma sœur, reprit Bertrand ; car je ne suis pas comme quelques-uns d’entre nous, je ne fais pas le mal pour le mal, et je ne tue que ceux qui m’attaquent.

— Mais tu dévalises ceux que tu ne tues pas, dit le père Bruno, pour qui peut-être un vol était un plus grand crime qu’un meurtre, parce qu’il n’avait pas l’excuse politique que les chouans donnaient à leur révolte.

— Tu m’y fais penser, dit Bertrand, et voilà sans doute, ajouta-t-il en montrant Luizzi, le voyageur qui s’est plaint d’avoir été arrêté ? Eh bien ! je vous jure que si ce sont quelques-uns des nôtres qui ont fait cette action, ils seront sévèrement punis, et que cet étranger n’ira pas dire que nous sommes des voleurs de grande route.

Cependant Marianne et la sœur de charité avaient coupé la veste de Jacques et mis à nu sa blessure. Pendant qu’elles la lavaient Bertrand reprit sa place sur sa chaise. Le feu s’était à peu près éteint faute d’aliment, et la flamme de la lampe, agitée par le vent qui s’engouffrait dans la chambre, éclairait d’une lueur triste et mourante cette scène de désolation. Bertrand prit la parole, et, s’adressant à Luizzi :

— En quel endroit avez-vous été arrêté ? lui dit-il.

— Je ne puis trop vous le dire, repartit le baron qui avait senti son courage l’abandonner en présence de dangers si nouveaux et si inconnus pour lui.

— Mais enfin, reprit Bertrand, à quelle distance étiez-vous de Vitré ?

— Je dormais dans ma voiture, repartit le baron, et je ne puis savoir…

— Ne tremblez pas ainsi, répliqua le chouan, nous n’avons rien à vous reprocher, personne ne vous en veut ici. Répondez : que vous a-t-on pris ?

— Mais, répondit le baron en balbutiant tout à fait, mes papiers, mon argent…

— Quels étaient ces papiers ?… combien aviez-vous d’argent ?…

— Il y avait un passe-port, dit Luizzi, des lettres.

— Et combien d’argent ?

— Combien d’argent… je ne sais.

— Comment ! vous ne savez ?

— Deux mille francs environ, dit le baron.

— En or ou en argent ?

— En or, repartit le baron, qui répondit rapidement pour cacher son trouble.

— Et dans quelle voiture voyagiez-vous ?

— En chaise de poste.

— Il y en a de beaucoup d’espèces, reprit Bertrand qui examinait le baron d’un regard qui contribuait singulièrement à troubler celui-ci.

— C’était, c’était… en calèche.

— Ah !… Et il y avait sans doute des malles, des porte-manteaux ?

— Oui, oui, dit le baron.

— Et dans ces malles, qu’y avait-il ?

— Mais, fit le baron avec impatience, ce qu’il y a dans des malles… du linge, des habits.