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Et, par un mouvement rapide, il ajusta Jacques ; mais, pendant que le chouan s’approchait de la porte du malade, le petit Mathieu s’était glissé derrière son père et lui avait remis son fusil caché dans un coin de la chambre. Dans le même instant, Jacques avait de son côté couché en joue son ennemi, tandis que l’enfant, se précipitant sur Bertrand, avait abaissé le canon de son arme. Tout cela fut l’affaire d’un éclair, et Jacques cria d’une voix retentissante :

— Au premier qui bouge ou qui fait un pas dans la chambre, Bertrand tombe mort !

Il y eut un terrible moment de silence, pendant lequel on entendit gémir les sourdes rafales du vent et de la pluie fouetter la pierre du seuil ; puis un coup de feu partit, et le fusil de Jacques tomba de son épaule fracassée par une balle. C’était un des hommes de Bertrand qui, caché dans l’ombre de la cour, avait glissé le canon de son fusil entre les deux sentinelles et avait juste le paysan à son aise.

— Qui a tiré ? s’écria le père Bruno.

— C’est un chouan, dit Jacques.

Presque aussitôt les cris de Marianne et ceux du petit Mathieu avertirent le vieillard aveugle que c’était son fils qui avait été frappé, et il s’ensuivit une scène de tumulte inexprimable et de terreur étrange. Le vieillard aveugle, armé d’un grand couteau, se jeta du côté où il croyait qu’était le chef des chouans :

— Bertrand ! Bertrand ! cria-t-il.

Mais celui-ci l’évita, et le vieillard se mit à parcourir la chambre le couteau levé, et criant avec fureur :

— Bertrand ! Bertrand ! où es-tu ? tueur ! assassin ! où es-tu ? Ah ! tu recommences ?

Il alla ainsi à travers cette grande salle, se heurtant aux meures, brandissant son arme et criant toujours : Bertrand ! où es-tu ? tandis que tous ceux qui étaient sur son passage s’échappaient en lui disant leur nom avec terreur. Il arriva ainsi jusqu’à son fils qu’il saisit par le bras et lui dit d’un ton rauque et furieux :

— Qui es-tu ?

— C’est moi, mon père. Tenez-vous tranquille, vous allez nous faire tous tuer.

— Ils t’ont blessé ?

— Ils m’ont cassé un bras ! c’est celui que vous tenez ; vous me faites mal.

L’aveugle recula en poussant un cri, laissa échapper le bras de son fils, et le couteau tomba de ses mains. Bertrand repoussa l’arme du pied, et reprit tranquillement :

— Tu l’as voulu, Jacques.

— Assassin et voleur ! cria le vieil aveugle.

— Ni l’un ni l’autre, dit Bertrand ; mais je veux ce que je veux, il me semble que tu devrais le savoir. Si Jacques n’avait