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régime, répliqua Bertrand froidement, que tu t’exposes ainsi pour un homme que tu ne connais pas ?

— Je m’expose parce que cet officier, quel qu’il soit, est dans ma maison, et que je ne veux point qu’on touche à cet homme, pas plus qu’à ma femme, pas plus qu’à mon père…

Jacques sembla s’irriter tout à coup dans sa propre pensée, et s’écria :

— Je ne veux pas qu’on y touche, pas plus qu’à un chalumeau de paille ou à un clou de cette maison.

— Eh ! on ne touchera ni à un clou ni à un chalumeau de paille chez toi, dit Bertrand… Mais cet officier est étranger, et il t’importe peu de nous le livrer. D’ailleurs, écoute-moi ! Ce matin, Georges a été pris par les gendarmes ; on le conduit dans les prisons d’Angers. Nous avons besoin de quelqu’un qui nous réponde de la vie de Georges ; si tu veux nous livrer cet homme…

— Il fallait le ramasser ce matin, dit Jacques, lorsqu’il était mourant sur la route.

— Il fallait l’y laisser, nous l’y aurions retrouvé, repartit Bertrand.

— Vous l’y auriez retrouvé mort, dit la sœur Angélique.

— C’est possible, repartit le chouan, et en ce cas c’eût été un de moins. Mais, puisqu’il vit, il faut qu’il nous serve à quelque chose. Nous pourrons l’échanger contre Georges. Voyons, où est-il ?

Bertrand se leva et se dirigea vers la chambre du malade. La sœur Angélique se précipita devant la porte.

— N’entrez pas ! La moindre commotion violente peut le tuer, s’écria-t-elle d’un ton suppliant.

— Bertrand, cria d’une voix forte le vieil aveugle, tu m’as demandé il y a quelque temps pourquoi mon fils n’avait pas pris le fusil et pourquoi je l’en avais détourné par mes conseils. C’est parce que je n’ai pas voulu qu’il s’associât à une guerre d’assassins et de voleurs.

— Est-ce pour moi que tu parles ainsi ? dit Bertrand.

— Pour toi, répondit le père Bruno en s’avançant vers Bertrand.

— Je te répondrai tout à l’heure, dit celui-ci ; mais auparavant il faut que je voie cet officier. Pardon, ma sœur, ajouta-t-il en s’adressant à Angélique, ne me forcez pas à user de violence ; je passerai, car je veux passer.

— Osez donc le faire ! dit Angélique en s’adossant à la porte et en présentant à Bertrand le Christ pendu à son chapelet.

Bertrand ôta son chapeau et se signa. Il promena autour de lui un regard irrité, mais il n’osa relever la tête devant la jeune fille et alla se rasseoir à sa place, grondant comme un dogue qui cherche sur qui il pourra s’élancer.

— As-tu bientôt fini tes comédies ? lui dit Jacques.

— Tout de suite, si tu le veux, s’écria Bertrand avec éclat et en se relevant soudainement.