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l’officier est donc ici ? Laissez passer, ajouta-t-il, et gardez bien la porte.

Le valet de ferme rentra et posa son seau d’eau dans un coin.

— Ferme la porte, dit son maître.

Le valet hésita à obéir.

— Laisse la porte ouverte, dit Bertrand ; mes gars pourront voir du moins le feu de la cheminée, cela les réjouira.

Aussitôt deux hommes se placèrent de chaque côté de l’huis, le corps moitié en dedans, moitié en dehors de la maison, et leur fusil à la main.

— Tout le monde est-il à son poste ? dit le chouan.

— Oui, répondit l’une des deux sentinelles.

— C’est bien, repartit le chef des chouans qui s’était rapproché de la porte et qui avait jeté un regard hors de la maison.

Jacques le suivait d’un œil attentif, et Marianne suivait avec anxiété les moindres mouvements de son mari.

— Et maintenant, reprit Jacques, me diras-tu ce que tu veux ?

Bertrand s’assit au coin du feu. Jacques fit signe à sa femme, à son fils et à ses domestiques de se tenir au fond de la chambre, et se plaça debout à l’autre angle de la cheminée, à côté de son père. La religieuse et Luizzi s’avancèrent entre le chouan et le paysan, se posant pour ainsi dire comme des intermédiaires désintéressés dans la question qui allait s’agiter. Bertrand, la tête baissée, jouait d’un air embarrassé avec la bandoulière de son fusil et semblait ne pas oser parler. On n’entendait que l’orage qui battait la maison de tous côtés.

— J’attends, dit Jacques après un moment de silence.

— N’as-tu pas recueilli chez toi un officier de la ligne qui a été blessé ? dit Bertrand brusquement, comme ravi d’être enfin interpellé.

— Oui.

— Il faut nous livrer cet officier.

— Il est mourant ! s’écria la religieuse, et ce serait le tuer.

— Et quand il se porterait aussi bien que moi, je ne le livrerais pas, répondit dédaigneusement Jacques Bruno.

— Écoute, Jacques ! reprit Bertrand, je suis venu ici en ami, et je te demande avec douceur ce que je puis obtenir par la force.

— C’est vrai, dit Jacques, tu peux nous faire tous tuer ici, moi, mon père, ma femme et mes enfants ; tu peux nous assassiner si c’est ton bon plaisir ; tu peux…

— Tu sais bien que je ne le ferai pas, Jacques, répondit le chouan avec impatience, quoique tu aies refusé de marcher pour la bonne cause.

— Tu le feras, répondit le fermier, parce que je ne te livrerai pas l’officier, et que, si tu veux l’avoir, il faudra me passer sur le corps pour arriver jusqu’à lui.

— Tu es bien changé, et tu aimes bien le nouveau