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Puis il ajouta rudement :

— On vous attend pour souper.

Luizzi se rendit à cette invitation et rentra dans la grande chambre. En son absence, on avait mis le couvert sur la longue table qui occupait le milieu ; une chaise pour le maître de la maison en occupait le bout, et le reste des convives était de chaque côté assis sur des bancs de bois. Il y avait, outre les personnes dont nous avons parlé, deux servantes et trois garçons de labour. Tout le souper, consistant en un plat de choux et des galettes de blé de sarrasin, était servi. Quand Luizzi eut pris la place qui lui était assignée, entre le vieux Bruno et sa bru, et en face de la religieuse, chacun murmura à part soi un Benedicite, et on s’assit. Luizzi seul n’avait pas pris part à cet acte de dévotion, et cela fut remarqué avec déplaisir. De petites cruches de cidre étaient çà et là sur la table, et chacun en usait tant qu’il voulait. Jacques seul avait une bouteille de vin à côté de lui ; mais il ne s’en servit point, et se contenta d’en verser à son père et à la sœur Angélique, qui refusa.

— Buvez, buvez, lui dit-il, cela donne du cœur pour passer une nuit sans sommeil.

— Je suis accoutumée à la veille, et je n’ai pas l’habitude de boire du vin, repartit la sœur ; mais je crois que vous feriez mieux d’en offrir à Monsieur, qui ne doit pas aimer le cidre.

Jacques parut mécontent de cet avis de la jeune religieuse. Cependant il n’osa le montrer trop ouvertement, et présenta la bouteille à Luizzi, qui refusa aussi, disant qu’il n’avait ni soif ni faim ; puis il ajouta :

— Je vous ai demandé un asile pour quelques heures, et, dès que le jour paraîtra, je vous débarrasserai d’un importun.

— Comme il vous plaira ; mais je vous avertis que nous n’avons pas de lit à vous offrir.

— Je n’y ai pas compté, reprit le baron, et j’attendrai le jour en causant avec sœur Angélique, si elle veut bien le permettre.

Celle-ci fit un signe d’assentiment et baissa les yeux que, depuis le commencement du souper, elle tenait constamment fixés sur Luizzi. Le baron l’examinait avec non moins d’attention ; et, sans pouvoir se dire où il avait vu ce pur et beau visage de jeune fille, il était forcé de reconnaître qu’il éveillait en lui des souvenirs confus. Cependant le souper était fini ; le silence le plus absolu régnait autour de la table et laissait entendre l’effort de la tempête qui ébranlait violemment les portes et les contrevents. Tout le monde paraissait soucieux et embarrassé, lorsque sœur Angélique dit à Jacques :