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et vit pour la première fois son visage. Les traits de cette femme frappèrent le baron, comme ceux d’une personne qu’il avait autrefois rencontrée, et il lui parut que sa figure produisit le même effet sur la sœur, car elle s’arrêta soudainement et laissa échapper une légère exclamation ; mais tous deux passèrent cependant sans que personne qu’eux-mêmes eût remarqué ce mouvement. Luizzi se trouva dans une chambre beaucoup moins vaste que la première : un des angles était occupé par un grand lit à colonnes et à rideaux de serge verte entièrement fermés, de façon que la lumière répandue par une petite lampe à pied ne pouvait pénétrer jusqu’au malade. Luizzi vit déposés sur une chaise les habits qui lui étaient destinés. Il s’en revêtit tout en cherchant à retrouver en quel lieu et à quelle époque il avait pu rencontrer la sœur de charité ; mais ce souvenir, qui d’abord lui avait apparu si vif, se brouilla entièrement dans sa tête, et il en conclut qu’il avait été frappé par la ressemblance de la sœur Angélique avec quelque personne de sa connaissance. Cependant il profita de ce premier moment de solitude pour réfléchir sur sa situation. Il reconnut que, grâce à son imprudence, elle était devenue tout à fait équivoque, et que la manie de dire toujours mes gens, ma voiture, avait rendu sa prétendue aventure assez difficile à expliquer. En effet, une voiture ne disparaît pas sans qu’on en retrouve quelque trace, et il cherchait par quels moyens il pourrait sortir d’embarras, lorsqu’il pensa qu’il pouvait peut-être confier son nom à l’officier blessé et se mettre ainsi sous sa protection. Si c’est un jeune homme, se dit Luizzi, il se laissera facilement persuader que j’ai été enfermé sans motifs dans une maison de fous, et il m’aidera à regagner Paris. Pour s’assurer de son espérance, le baron entr’ouvrit les rideaux ; mais il ne put distinguer la figure du malade cachée dans l’ombre des rideaux, et il allait prendre la lampe pour l’examiner, lorsqu’il vit Jacques debout sur la porte entr’ouverte.

— Vous êtes curieux, Monsieur ! lui dit le paysan.

Luizzi, fort surpris de cette interpellation, voulut faire de la présence d’esprit et répondit avec une légèreté inconsidérée :

— J’ai quelques amis qui servent dans le régiment en garnison dans ce pays ; je craignais que ce fût l’un d’eux qui eût été blessé, et j’ai voulu m’en assurer.

— Il vous aurait suffi de nous demander son nom, dit Jacques.

— Le savez-vous ?

— Oui.

— Et comment se nomme-t-il ?

— Dites-moi d’abord comment se nomment vos amis.

Le baron jeta quelques noms au hasard, et le paysan répondit sèchement :

— Ce n’est pas lui.