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rester comme ça, il y aurait de quoi enrhumer une grenouille. Femme, cria-t-il, tu porteras du linge et des habits dans la chambre du blessé, et on laissera à Monsieur un petit moment pour s’habiller et se déshabiller… Pardon, Monsieur ! mais nous n’avons que ces deux chambres, et nous faisons comme nous pouvons.

Luizzi allait remercier le paysan, lorsque celui-ci cria d’une voix irritée :

— Qui a laissé cette porte ouverte ? Avez-vous envie qu’on nous envoie des coups de fusil jusqu’au coin de notre feu ? Fermez et tirez les verrous.

— Père, c’est moi, dit le petit Mathieu ; mais Lion et Bellot sont dans la cour, et ils ne laisseront approcher personne qui soit étranger à la maison.

— C’est bon ! dit Jacques en se radoucissant.

Puis il reprit entre ses dents :

— Ce ne sont pas ceux que les chiens ne connaissent pas que je redoute, ce sont ceux qui sont souvent entrés ici comme des amis.

— Tu as raison, reprit le vieil aveugle qui avait posé ses pieds sur ses sabots comme sur une espèce de tabouret, pour mieux les exposer à la chaleur du feu ; tu as raison. D’après ce que m’a dit Monsieur, c’est la bande de Bertrand qui l’a attaqué.

— Connaissez-vous ce Bertrand ? dit Jacques.

— Non, reprit Luizzi ; mais, d’après le portrait que m’en a fait votre père, un homme très-grand…

— Il y a plus d’un chouan de la taille de Bertrand, et, si vous ne l’avez pas vu…

— Il faisait nuit quand il a arrêté ma voiture, reprit Luizzi.

— Votre voiture ! fit Jacques d’un air étonné ; où ça ?

— Mais sur la grande route de Vitré à Laval, dit Luizzi qui regrettait déjà d’avoir prononcé le mot voiture.

— Et vous veniez ?

— De Vitré, répondit Luizzi de plus en plus embarrassé.

— Et que sont devenus les chevaux et le postillon qui vous conduisaient ?

— Je vous avoue que je n’en sais rien, répondit le baron.

— Bonfils, dit le maître de la maison à un garçon de charrue qui réparait une fourche dans un coin de cette grande pièce, tu vas aller à la poste savoir des nouvelles de la voiture arrêtée. Combien de temps y a-t-il à peu près ?

— Deux heures, dit étourdiment le baron.

— Deux heures ! répéta Jacques, c’est singulier.

En prononçant ces paroles, il jeta un regard soupçonneux sur Luizzi. Mais à l’instant même Marianne, la femme de Jacques, parut en disant :

— Tout est prêt dans la chambre pour Monsieur.

Jacques fit signe au baron d’entrer et le suivit attentivement des yeux. Comme Armand allait passer la porte qui conduisait dans la chambre du malade, il rencontra la sœur de charité qui en sortait