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— Tu as été acquitté en cour d’assises, tout le monde a témoigné en ta faveur en déclarant que tu étais en démence depuis longtemps ; et, comme le notaire était guéri et se portait bien, on n’y a pas regardé de trop près.

— De façon que je rentre dans la société comme une espèce de forçat libéré ?

— Tu te trompes, mon maître : le crime que tu as commis est un de ceux que la société pardonne aisément.

— Pourquoi cela ?

— Parce qu’il n’avait pas de motif apparent. Si tu avais essayé de tuer un homme pour lui prendre son argent, sa femme ou son nom, tu serais un misérable ; si tu avais tenté de le tuer par vengeance ou par haine, tu serais un horrible scélérat. Mais tu as voulu le tuer pour le tuer ; tu es un monomane, un homme frappé de vertige, pour qui la science a une foule d’arguments irrésistibles qui te rendent très-intéressant. C’est une invention moderne que je dois au jeune barreau et que j’espère voir fructifier à mon profit. D’ailleurs, au milieu de la grande tourmente qui vient d’agiter la France, ton affaire a passé complètement inaperçue. La plupart des gens qui te connaissent l’ignorent tout à fait, et, en changeant de monde, tu seras un homme tout neuf pour celui où tu entreras.

— Mais à quelle distance suis-je de Paris ?

— À quatre-vingts lieues.

— Quel est ce pays ?

— C’est la commune de Vitré.

— Comment pourrai-je arriver jusqu’à la capitale sans argent ?

— Ce n’est pas mon affaire.

— Mais il doit y avoir un moyen de s’en procurer ?

— Il y en a trois : en emprunter, en voler ou en gagner, tu choisiras. Quant à moi, j’ai tenu ma promesse, adieu.

Et, comme ils arrivaient à l’endroit où le chemin se partageait en plusieurs sentiers, le Diable disparut, et Luizzi se trouva à quelques pas d’un petit groupe de personnes prêtes à passer devant lui.

— Qui va là ? cria une voix forte.

— Hélas ! dit Luizzi, je suis un pauvre voyageur qui ai été arrêté par une troupe de brigands ; ils m’ont dépouillé de mon argent et de mes papiers, après m’avoir entraîné dans un petit bois, et je me suis égaré en cherchant à retrouver la grande route de Laval à Vitré.

À peine Luizzi avait-il fini de parler, qu’un enfant d’une douzaine d’années, qui avait tourné autour de lui en l’examinant soigneusement, cria d’une voix un peu dédaigneuse :

— C’est un monsieur, grand-père.

— Regarde-le bien, Mathieu, répondit le vieillard.

Et aussitôt une femme reprit doucement :

— Et que demandez-vous, brave homme ?

— Un asile pour cette nuit, si cela ne vous dérange pas.

— Cela ne nous dérangera pas, Monsieur, dit le vieillard ; on ne dort guère chez nous, cette nuit, et