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une tombe ouverte qui peut se fermer sur votre sommeil, ce courage tu ne l’as pas.

— Et qui donc peut se flatter de l’avoir ?

— Ceux qui n’auraient peut-être pas le tien.

— Un prêtre fanatique ?

— Ou un enfant qui aime : la religion et l’amour, les deux grandes passions innées de l’humanité !

— Ce n’est pas de la métaphysique que je te demande, mais une histoire.

— Je te la dirai demain.

— Tout de suite ; je veux la savoir.

— Je n’ai pas le temps.

— Je veux la savoir, repartit Luizzi en saisissant la sonnette.

— Eh bien ! dit le Diable, ose donc la regarder.

À ce moment, la fenêtre, qui était restée ouverte, sembla devenir la porte d’une autre chambre donnant de plain-pied dans la sienne. Luizzi ne vit rien au premier abord, car la chambre était faiblement éclairée par une lampe ; mais peu à peu il distingua les objets, et bientôt il aperçut dans cette enceinte une femme assise dans un large fauteuil et un enfant endormi sur ses genoux. Luizzi avait vu souvent de ces êtres pâles et maladifs dont l’aspect attriste et fait pitié, il en avait vu qui portaient en eux le principe d’une mort prochaine et qui traînaient un corps en dissolution ; mais jamais spectacle pareil à celui qui était sous ses yeux ne l’avait frappé. Cette femme posée devant lui était blanche comme ces statues de cire qu’on n’a pas encore coloriées des teintes roses qui doivent imiter la vie ; sur son visage aux contours jeunes et purs une teinte bleuâtre interrompait seulement autour des yeux cette pâleur mate et immobile ; l’enfant qu’elle tenait, pâle comme elle, chétif, maigre, affaissé, eût semblé mort (si la mort elle-même peut paraître si inanimée), sans le mouvement lent et doux de sa respiration. La jeune femme ne bougeait point, l’enfant dormait ; de façon que Luizzi les contempla à loisir. Ses yeux s’habituèrent bientôt à la clarté sombre de cette chambre, et il vit qu’elle était tendue d’épais tapis sur le sol, aux murs et jusqu’au plafond ; du reste, il n’y avait trace ni de fenêtres, ni de cheminées, ni de portes, et cependant il voyait vaciller la lumière de la lampe, comme si un courant d’air assez vif l’avait rencontrée ; il reconnut que ce souffle provenait d’une ouverture pratiquée à ras du sol, et qui jetait dans la chambre un air qui