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ce pavillon, qui dans le parc faisait pendant au premier qu’il avait vu, devait avoir un secret qui, dans l’histoire de la famille, fît pendant à celui de M. de Labitte. Cette idée s’empara tellement de Luizzi, qu’il s’approcha du bâtiment et en fit le tour, écoutant comme si quelque voix accusatrice et plaintive allait s’en échapper. Il n’entendit rien et il se retirait assez désappointé, lorsqu’il se trouva en face du capitaine Félix.

— Vous ici ! monsieur le baron, dit le capitaine assez brusquement, et après avoir laissé échapper une sourde exclamation de surprise.

— Oui, répondit celui-ci très-troublé, je souffre un peu, et j’ai espéré que le grand air me ferait du bien.

— Le grand air est un pauvre remède, répliqua le capitaine, qui s’efforça de sourire et de parler avec volubilité pour cacher sa décontenance.

— Pour vous peut-être, dit Luizzi : pour les hommes habitués à vivre sans cesse au milieu des bois et des campagnes, ce remède n’en est plus un, c’est votre état normal, c’est comme la bonne chère pour l’homme riche ; mais pour nous autres citadins, qui passons notre vie dans des appartements soigneusement clos dont nous absorbons l’air en quelques minutes, un grand espace libre, où le corps se baigne dans une atmosphère toujours pure, est comme une nourriture salubre pour le misérable. L’air, c’est, après la liberté, la première espérance du prisonnier haletant parmi les miasmes délétères d’un cachot ; et l’habitant des maisons basses et des rues étroites de nos grandes villes se promenant à la campagne, c’est le pauvre admis par hasard à la table du riche.

Le capitaine avait écouté Luizzi avec un regard plein d’une sombre défiance ; puis, à mesure qu’il parlait, Armand crut remarquer qu’il se troublait. Enfin, à cet éloge outré de la promenade et du grand air, l’expression soupçonneuse des traits du capitaine s’était encore assombrie, et il avait répondu d’un ton amer :

— Sans doute, mais le pauvre admis par hasard à la table du riche se défend rarement d’un excès. Prenez donc garde, monsieur le baron ! l’indigestion s’assied à côté du pauvre, et le rhumatisme flotte dans l’air ; il est temps, je crois, de quitter le banquet : il fait froid.

— Vous avez raison, reprit Luizzi ; je sens que l’humidité me gagne.