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son honneur, l’orgueil de sa considération, sont donc bien puissants chez elle ! Ces sentiments réfléchis, et qui semblent ne devoir agiter l’âme d’aucun mouvement violent, peuvent donc arriver aux mêmes résultats que la haine, la vengeance et la jalousie !

Luizzi eût sans doute bâti une théorie complète sur ces données, s’il avait eu le temps de continuer son monologue ; mais il entendit s’approcher le capitaine et M. Buré. À peine furent-ils arrivés à la porte qu’ils renvoyèrent le domestique. M. Buré passa la bride de son cheval dans son bras, et lui et son frère s’éloignèrent lentement.

— Ainsi, disait le capitaine, tu me le jures ! point de grâce ! point de pitié !

— Fie-toi à ma haine.

— Il faut qu’il meure aux galères !

— J’ai de quoi l’y envoyer.

— Quand Henriette verra sa condamnation dans les journaux, peut-être finira-t-elle par nous croire.

— Je l’espère, dit M. Buré ; car son supplice est bien affreux, et si jamais on découvrait…

Un geste du capitaine arrêta sans doute M. Buré ; car il se tut tout à coup, et bientôt Luizzi les perdit de vue et n’entendit même plus résonner les pieds du cheval sur le chemin. Il profita de cet instant pour rentrer dans le parc.

Évidemment il y avait sous cet événement, sous ces projets, une histoire cachée et terrible. Ces gens de mœurs si patriarcales, et qui méditaient le déshonneur d’un homme qui n’avait peut-être que le tort d’être malheureux ; cette femme d’une si vertueuse apparence, et qui avait deux crimes si abominables à se reprocher ; ce nom d’Henriette mêlé à la conversation, tout cela inspira à Luizzi un vif désir de connaître les secrets les plus intimes de cette famille. Ainsi, au lieu de rentrer dans le salon commun, il prit un long détour pour arriver à la maison par une porte qui lui permît de monter chez lui sans être aperçu. L’allée qu’il suivait le conduisit à l’autre extrémité du parc et près d’un pavillon semblable à celui qu’il venait de quitter : c’était le logement du capitaine, de M. Félix Ridaire. Ce pavillon fut un nouveau sujet de méditations pour Luizzi ; en effet, il avait remarqué que jamais personne n’allait y visiter le capitaine : celui-ci s’y retirait toujours d’assez bonne heure et s’y faisait apporter son souper. Une idée assez bizarre fit présumer à Luizzi que